Page:Groulx - Notre maître, le passé, 1924.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.
235
Monseigneur Taché

presse et qui s’imposait d’elle-même : celle d’une amnistie complète pour toutes les personnes impliquées dans les troubles. Que la prudence du conciliateur ne fût-elle égale à son désintéressement ! « J’avouerai ingénument, écrira-t-il plus tard, que j’étais trop peu homme d’état pour croire que la parole des hommes d’état ne signifie rien quand elle n’est pas sur le papier. » La promesse faite à Mgr  Taché fut réitérée solennellement aux délégués officiels du gouvernement provisoire. Au reste, l’amnistie n’était plus seulement une mesure de justice ; quand Riel, à l’appel de ses plus fanatiques ennemis, eut repris le commandement des Métis et sauvé l’Ouest du coup de force des Féniens, l’amnistie devint une question de gratitude et de simple dignité. Mais il y a évidemment une humanité qui est au-dessous de ces sentiments. Le péril aussitôt passé, les clameurs ontariennes s’élevèrent plus violentes que jamais contre « les chefs du troupeau de buffles ». À la vérité que faut-il penser d’un acharnement aussi effroyable contre une poignée d’hommes devenus inoffensifs ? Le fanatisme devenait du sadisme. Les jeunes officiers de l’armée impériale, a écrit Mgr  Taché,[1] ne se consolaient point d’avoir perdu, par la faute de l’évêque, « l’occasion de tremper la pointe de leur épée dans du sang métis et d’orner leur boutonnière d’un ruban aux couleurs du Nord-Ouest. »

Devant cette levée de haines, les politiques fédéraux prirent peur. Selon l’habitude prise par eux depuis 1867, la peur fut décorée du nom de prudence et l’amnistie fut ajournée. L’évêque de Saint-Boniface ressentit vivement ce coup droit porté à son honneur de gentilhomme. Il ne crut

  1. Dom Benoît, Vie de Mgr  Taché, t. II. p. 266.