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Notre Maître, Le Passé

nes à prendre, à la seule condition d’en bousculer les propriétaires. L’évêque de Saint-Boniface vit très nettement, dès le début, qu’on en voulait à l’existence même d’un peuple, à la survivance d’une race catholique. À peine arpenteurs et ingénieurs canadiens ont-ils mis le pied dans l’Ouest, suivis de quelques immigrants d’Ontario, qu’ils s’y comportent comme en pays conquis. On parle ouvertement d’expulser les Métis de leurs anciennes possessions, témoigne Mgr Taché, ou de les retenir tout au plus pour conduire les charrettes qui vont amener les nouveaux colons.[1]

Mgr Taché ne croyait point que sa qualité d’évêque lui interdît le patriotisme ni que la charité envers les autres races le dispensât de défendre le droit, parce que ce droit était celui de ses frères. Avec une insistance émouvante, il avertit aussitôt les autorités canadiennes des malheurs qui se préparent ; les ministres canadiens-français sont suppliés de ne pas laisser périr dans l’Ouest, l’œuvre des pionniers de leur race. Peine perdue. Les ministres ne veulent rien entendre ; l’un d’eux, Georges-Étienne Cartier répond à l’évêque avec une suffisance qui ne se défend pas de l’impolitesse. On sait le reste et l’enchaînement dramatique des événements : l’arrivée provocatrice de McDougall à la Rivière-Rouge, la prise d’armes des Métis, la proclamation du gouvernement provisoire, les premiers chocs des deux groupes, le rappel à l’ordre des autorités canadiennes par le gouvernement impérial, l’évêque de Saint-Boniface rappelé du Concile du Vatican par les ministres d’Ottawa.

Mgr Taché, accouru en toute hâte, accepta le rôle de conciliateur que lui confiait un gouvernement aux abois. Il accepta à une condition ex-

  1. Dom Benoît, Vie de Mgr Taché, t. II, p. 13.