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Monseigneur Taché

s’en vont en plein hiver, les raquettes aux pieds, à travers la vaste solitude, dorment sous la voûte du ciel, ensevelis dans la neige par des froids de 40° ou de 50° au-dessous de zéro, et vont ainsi, pendant plus de deux mois, faisant des courses de 200 et de 300 milles, ces hommes ne seront-ils pas appelés justement par Pie IX, « les martyrs du froid » ? Puis, les races qu’ils évangélisent, ce ne sont plus, comme autrefois, des races fières et nombreuses, d’une vigueur intacte, et qui laissent entrevoir l’avenir d’une chrétienté. Pauvres débris de races moribondes, il n’y a d’espérance en elles que celle d’une brève et dernière moisson d’âmes. À vrai dire les funérailles des vieux peuples aborigènes allaient commencer, au milieu de l’indifférence générale. Seule l’Église voulut être là pour tempérer cette mélancolie tragique. Et ce sera l’honneur des Oblats de Marie d’avoir été choisis par Dieu pour consoler l’agonie des races indiennes et planter une croix sur cette grande tombe.

Alexandre-Antonin Taché avait tout juste vingt-et-un ans, n’était que novice et sous-diacre lorsqu’il fut adjoint au Père Aubert qui montait le premier à Saint-Boniface. À peine arrivé dans l’Ouest et fait prêtre, le jeune missionnaire inaugura lui-même l’œuvre de sa communauté. Dès 1847, nous le trouvons à l’Île-à-la-Crosse, à plus de 300 lieues de Saint-Boniface, d’où il rayonne presqu’au lac Caribou qui est à 100 lieues de l’Île-à-la-Crosse, et jusqu’au lac Athabaska qui est à 130 lieues. Devenu évêque quatre ans plus tard, il reprendra les mêmes courses et les poussera plus loin, n’ayant reçu plus de dignité que pour donner plus de dévouement. Plusieurs fois, dans la solitude implacable, il vient près de mourir de fatigues ou de faim. N’importe, pendant vingt ans,