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La croix de Maisonneuve



Tout tient de la légende héroïque dans les débuts de Ville-Marie. À contempler ce fond d’histoire on dirait une fresque de primitif où tous les jours viendrait se fixer le geste d’un orante, un acte de martyrologe.


C’était la veille de Noël, la première année de la fondation. Les colons finissaient à peine les durs travaux des premiers établissements. Tout en se préparant à la lutte contre le premier hiver, ils voyaient venir avec contentement ces longs mois de repos relatif. La guitare du colonel, celle-là même qui avait égayé les bûcherons, les soirs de travail, fredonnait depuis quelques jours les refrains du minuit.

Soudain un cri de terreur vient jeter l’alarme dans la petite bourgade : « Le déluge ! le déluge ! » La rivière Saint-Pierre, inquiétante depuis plusieurs heures, a tout à coup franchi ses rives et voici qu’elle se jette dans les prairies. Bientôt elle va déferler dans les fossés du fort ; elle avance vers la palissade et vers les murs. Chargée de glaces et de débris de forêt, elle court avec une violence à tout briser. L’angoisse est au dernier point parmi les colons. Les huttes se vident et c’est un sauve qui peut général. La nuit, une nuit pleine d’incertitude et de menaces, vient ajouter à cette scène d’effroi ses terreurs mystérieuses. Personne ne ferme les yeux dans Ville-Marie, en cette nuit du 24 décembre 1612. Chacun guette, dans l’obscurité, la marche envahissante des eaux, et