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Notre Maître, Le Passé

rale de leurs demeures et de leurs fermes. Et ce spectacle d’infinie détresse n’arrache aux sinistres persécuteurs que des joyeusetés de barbares. Murray écrit à Winslow : « J’ai hâte de voir arriver le moment où ces pauvres diables seront embarqués. Alors je me donnerai le plaisir d’aller vous voir et de boire à leur bon voyage. »

Mesdames, Messieurs, j’ai fait un jour mon pèlerinage au pays d’Évangéline. Je me suis promené à travers les vallons de la Gaspéreau, depuis Kentville jusqu’à la Grand Prée, et depuis la Grand Prée jusqu’au sommet du cap Blomidon. Le matin, j’avais parcouru, à petits pas, l’emplacement du « Mémorial » ; j’avais salué la croix dressée sur le cimetière des vieux Acadiens ; avec émotion je m’étais penché sur la margelle du vieux puits, près des ruines de l’antique église, enfouies sous les herbes ; lentement j’avais défilé, écoutant les rumeurs de la légende, dans l’allée des saules centenaires. Et, revenu sur le sommet de la petite éminence, j’essayai de faire revivre la Grand-Prée de 1755, la plaine immense conquise sur la mer avec ses aboîteaux, ses maisonnettes dispersées, ses hautes meules de foin et le grouillement des équipes de faucheurs perdus dans la hauteur du grand mil. Je croyais apercevoir, en coiffe blanche, Évangéline et ses compagnes allant porter aux hommes le repas de midi. Et j’entendais monter de ces robustes poitrines et de la terre maternelle et féconde, un cantique de force et de joie paysanne, chant d’un petit peuple qui a réalisé le vrai bonheur d’ici-bas, dans la simplicité de sa foi et l’allégresse du labeur.

Le soir, je me trouvai au faîte du cap Blomidon, géant qui s’avance dans la mer pour défendre l’entrée du bassin des Mines. Pendant une heure,