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Notre Maître, Le Passé

leur supprime tout moyen d’embarquement. Toujours, avec la même obstination tranquille, les « neutres » défendent la neutralité qu’on leur a consentie et se refusent à prendre les armes pour le compte de l’Angleterre. Ils protestent qu’ils sont Français de cœur et de naissance, et qu’ils quitteront leurs terres si on exige un serment qui les expose à porter les armes contre la France. Mesdames, Messieurs, il y a là un geste qui passe la grandeur chevaleresque. Comme il devient d’une beauté émouvante, l’attachement de ces paysans à leur origine, quand on songe à l’abandon presque continuel où les avait tenus la patrie d’outre-mer. Qu’ils sont bien de leur race et qu’ils durent paraître peu pratiques à leurs conquérants, ces campagnards idéalistes qui s’entêtent magnifiquement à sacrifier leur petit pays, les terres de leurs ancêtres, les tombes de leurs morts, plutôt que de sortir de la famille française.

Enfin, la droiture l’emporta sur la perfidie. En 1730, après une série d’actes officiels, les Acadiens pouvaient opter encore entre le droit de demeurer en la Nouvelle-Écosse, sans prêter le serment d’allégeance, ou la faculté de se retirer, à leur gré, avec leur avoir. Mais survint en 1749 la fondation d’Halifax. Avec la colonisation anglaise la garnison d’Annapolis n’a plus à craindre pour sa subsistance. Aussi voit-on Cornwallis ressusciter tout de suite l’affaire des serments et prétendre déchirer d’un seul coup la neutralité acadienne. Il exige un serment d’allégeance sans condition. Quel parti vont prendre les Acadiens ? Sans hésiter, ils se résolvent tranquillement à quitter leur pays, pour s’en aller en terre française, du côté du Canada. Et que fait Cornwallis ? Pour empêcher à tout prix l’exode, il refuse tout passeport. Car