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Notre Maître, Le Passé

terres, les Acadiens ont vécu et se sont fortifiés dans le sens de leurs origines et de leurs traditions. Doublant leur population à peu près tous les seize ans, ils comptent alors environ 18,000 habitants disséminés depuis Annapolis jusqu’à Chipoudy à l’intérieur de la baie, et même aussi de l’autre côté de l’isthme de Shédiac, sur les bords de la baie verte, et même jusque dans l’Île Saint-Jean où, dès les premières menaces, se sont réfugiés trois mille d’entre eux.

Ce sont maintenant des fermiers prospères qui goûtent à une joyeuse aisance. Mais la prospérité et l’accroissement n’ont pas altéré les hautes vertus de leur état social. Cette société champêtre des vieux Acadiens, quelles romances idylliques, quels tableaux romanesques ne nous a-t-elle pas valus ? Nous avons vu revenir les plus hautes fantaisies virgiliennes avec les Édens chimériques des rêveurs du dix-huitième siècle. Depuis l’abbé Raynal surtout, il était devenu de mode de tomber fatalement dans l’églogue latine et de faire rimer Acadie et Arcadie. Cependant depuis lors les documents ont parlé ; à la légende romanesque s’est substituée la réalité prosaïque de l’histoire qui n’a changé que peu de chose. L’exagération n’exista que dans les mots. Et force nous est bien d’admettre les qualités singulières, la beauté idéale de la petite société acadienne pétrie de vertus françaises et catholiques. « S’il y a un peuple qui ait rappelé l’âge d’or tel qu’il est décrit dans l’histoire, c’étaient les anciens Acadiens, » a pu écrire Moyse de Les Derniers, un des agents de Lawrence.

En face de ce tableau comment nous défendre d’une émotion tragique, à la vue de la foudre qui s’apprête à tout broyer ? Chateaubriand dirait :