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septième volume 1940-1950

vous donnerai un coup de fil. Et il en sera comme vous en conviendrez. »

Ce jour-là même, m’apprit-on, le Délégué avait soufflé à quelqu’un : « Ce sera le pendant de mon entretien avec M. Doré. Je souhaiterais confronter les idées de ces deux hommes. » Donc, quelques jours plus tard, de retour à Ottawa, un coup de téléphone me valait un appel de la Délégation apostolique. J’avais malheureusement commis la maladresse de faire passer mon appel par la bouche de Mgr Myrand, curé de Sainte-Anne d’Ottawa, généreux prélat qui m’aura hébergé pendant trente ans. Le Délégué invita naturellement Mgr Myrand à m’accompagner. L’entrevue s’en trouverait gênée, gâtée. Je m’en aperçus aux réticences de Son Excellence. Que voulait-il au juste ? Que me voulait-il ? Il parlait vaguement de réformes nécessaires, urgentes ; il fallait prévenir l’opinion, ne pas attendre qu’on pousse dans le dos du clergé… Mais quel rôle prétendait-il m’assigner en tout cela ? Il fallait mettre les choses au point.

— Excellence, lui fis-je observer, dans la province de Québec, vous ne l’ignorez pas, tout l’enseignement, primaire, secondaire, même supérieur, relève directement ou indirectement de la haute autorité de l’épiscopat. En conséquence vous apercevez en quelle position fausse et même périlleuse, se risque un prêtre qui ose préconiser des réformes un tant soit peu considérables. Il se donne l’air de faire la leçon à ses supérieurs. J’ai déjà préconisé quelques réformes. Puis-je vraiment aller outre ?…

Le repas fini, le Délégué déjà debout et me regardant bien dans les yeux, me dit :

M. l’abbé, vous avez de l’autorité ; servez-vous-en opportune, importune.

Consigne audacieuse. Si audacieuse que je n’osai rien dire. Tout au plus, dans la voiture qui nous ramenait au presbytère de Sainte-Anne, jetai-je cette réflexion à Mgr Myrand : « Oui, opportune, importune ; mais si un de ces jours je reçois des coups de crosse, ce n’est pas le Délégué qui viendra soigner mes bosses. »