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septième volume 1940-1950
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çaise… L’important, c’est d’être nous-mêmes ; c’est de rester Français, Français d’Amérique, Français du Canada, Français originaux, c’est entendu ; mais Français sans repentance et sans hypocrisie… L’important, c’est de nous arracher à notre gangue, de ne pas rejeter les lois profondes et essentielles de l’esprit. Et alors une chose est sûre : une civilisation jaillira de nous. Quand naîtra l’œuvre de génie ?… Quant au chef-d’œuvre impatiemment souhaité, nous aurons conquis le droit de l’attendre. Et il viendra. Il ne nous manquera plus que le don d’un grand esprit, d’un grand artiste, don privilégié que la Providence ne prodigue pas à foison, même aux vieilles et grandes nations ; et l’un de ces jours, un jour fortuné, sans qu’il ait été nécessaire, comme dirait Mounier, de « cracher » notre âme, ni « de prendre la fausse voix du renégat », la joie, l’orgueil nous seront donnés, joie plus enivrante, j’imagine, pour un petit peuple que pour tout autre, de saluer une forme d’art, pure et géniale, une image impérissable de nous-mêmes.

Et comment y parvenir ? Il nous faut, à tout prix, une « synthèse vitale », « un achèvement de conscience nationale, un exhaussement de notre âme française ». Cette vigueur interne, où la prendre ? À qui la demander ? « À nous-mêmes, à nos propres choix, à nos propres déterminations… Mais pourquoi pas d’abord à notre catholicisme ? Regardons en nous et autour de nous. Notre foi constitue notre plus forte part d’originalité. Rien ne nous marque au Canada et en Amérique, rien ne nous distingue — et dans tous les sens du mot — autant que notre catholicisme. Ceux qui ne nous aiment pas en ce pays, ne nous aiment pas surtout parce que nous sommes catholiques. Si nous n’étions pas catholiques, ils nous pardonneraient d’être français. Nous cherchons un principe qui, dans le corps de la nation, développe l’équilibre de la santé, exhausse l’élan vital. Nous savons les merveilles de rédemption qu’à l’intérieur de l’homme le catholicisme dûment vécu peut accomplir ; nous savons comme il purifie et rectifie toutes les sources d’action, comme il les exalte dans une vie supérieure. Pourquoi n’en serait-il pas de même dans la vie d’une communauté populaire ? Aujourd’hui, face au cataclysme, les moins pieux des hommes d’État nous promettent un monde reconstruit selon les lois de l’Évangile du Christ. Fils authentiques du catholicisme, serions-nous incapables de croire autant que ces hommes, autant que Renan, que le Christ “reste