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mes mémoires

commun dénominateur pour les Canadiens, c’est de commencer par mettre au-dessus de l’Empire, la patrie canadienne. »

On ne pouvait plus poliment dévisager les bonne-ententistes de tout crin. La presse ne tint pas compte de ces propos désobligeants. Le Devoir, L’Action catholique, La Presse, et même Le Canada, quotidien libéral, y allèrent de leurs éloges. L’étonnant, ce fut bien l’écho de ce discours dans la presse anglaise, depuis celle de Montréal, la Gazette, le Star, le Standard, jusqu’à celle d’Ottawa, l’Ottawa Journal, celle de Toronto, le Globe and Mail, l’Evening Telegram et même l’Edmonton Journal, de l’Ouest. Ces journaux anglais se raccrochèrent naturellement à mon acceptation des propos de la reine, tout en fournissant un résumé de la conférence où l’on glissait pieusement sur les déclarations trop « shocking ». Le Standard se montrait pourtant plus loyal dans son article du 24 juin 1939. J’en cite un passage d’après une traduction du Devoir. « Le discours de l’abbé Groulx démontre qu’il n’y a pas d’abîme infranchissable (unbridgeable gulf) entre les Canadiens anglais et les Canadiens français qui se font de leur race une conception nationale. Il déclare que tout ce que ceux-ci réclament, c’est la reconnaissance de la culture française, de leurs traditions… »

Notre mission française

Deux ans plus tard, je m’attaquais à un autre sujet que j’estimais, lui aussi, fondamental. Un jeune journaliste, non sans talent, mais comme l’on dit, « disparu aujourd’hui de la circulation », venait de clamer publiquement, avec le ton tranchant, dogmatique, dont se défendent mal les jeunes qui se prennent pour de grands esprits : « On nous a dit que nous avions une histoire ; nous n’en avons point ; on nous a dit que nous avions une mission ; nous n’en avons point… » Et les négations se suivaient aussi prétentieuses que catégoriques. Ce jeune journaliste n’était au surplus que le gramophone de quelques jeunes historiens, déjà grimpés sur le Sinaï, et qui proféraient, depuis quelque temps, d’aussi réjouissants oracles. Catholiques qui n’avaient pas l’air de se douter qu’un peuple catholique, tout comme le simple individu baptisé, est responsable de l’œuvre du Rédempteur et que personne, en chrétienté, n’a reçu la foi pour soi