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mes mémoires
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m’en rendis bientôt compte par les fortes pressions qui s’exercèrent sur moi. On désirait, on voulait que le conférencier fît écho aux paroles de Sa Majesté. Eh oui ! me transformer en prédicateur de la bonne-entente, moi, le méfiant du « bloc enfariné », quelle habile manœuvre et quelle victoire ce pouvait être ! De bons amis, alors férus de l’utopie, me rendirent visite. Ils me supplièrent de leur lire mon texte ; avec une souple et chaude diplomatie, on me proposa quelques modifications — oh ! très légères, assurait-on. Mais pourquoi ne pas atténuer certaines déclarations ? Pourquoi n’en point ponctuer d’autres ?… On le sait, j’ai toujours malaisément quitté mes positions. Aussi bien, suis-je peu assuré de n’avoir point, en ces jours-là, contristé de fort bonnes âmes. Et c’est donc ainsi que, pour mettre bien des choses au point, je pris pour sujet : Notre mystique nationale.

Cette mystique, de quoi la composer ? Avec quels matériaux ou plutôt quelles raisons et quels sentiments en bâtir l’essence ? Cette fois j’entends me résumer rapidement, avec l’espoir de tenir ma promesse. Page 2 de la brochure, une huitaine de lignes dessinent, ce semble, le plan de mon discours : « Que faut-il aux Canadiens français ? Une idée maîtresse, centrale, directrice de leur vie ? Si nous commencions par une prise de conscience de leur particularisme historique, par une juste appréciation des valeurs d’humanité que recouvre et implique ce particularisme, par l’examen réfléchi du milieu où ce particularisme historique et culturel doit s’épanouir. Il jaillira de là, si je ne m’abuse, un ensemble de faits, de vérités ou d’aperçus qui pourraient peut-être nous constituer une “mystique nationale.” — » Suivaient les développements de ces thèmes où revenaient inévitablement bien des redites déjà rabâchées en maints discours et écrits. Et le conférencier, à propos de nos positions juridiques, en arrivait à poser le problème crucial de l’entente entre les deux races. Il citait le discours de la reine. Mais la citation traînait après elle des considérations qui, hélas, ont dû faire frémir ceux de mes bons amis qui m’auraient voulu plus discret. « Nos souverains, disais-je, ont-ils voulu nous donner une formule de vie nationale ? Pour notre part, nous l’acceptons de plein gré. Inquiets, d’excellents esprits cherchent ce qu’ils appellent “un commun dénominateur national”, autour de quoi faire l’accord des provinces et des races. Ce commun dénomi-