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septième volume 1940-1950

l’avait montrée se continuant, péniblement, mais d’un visage si peu changé dans ce que l’on allait appeler le Canada français. Dans les vues d’en-haut, pourquoi cette survivance ? La Providence de Dieu fait-elle tant de choses pour rien ? Ce petit pays, notre peuple, il m’était facile de les aimer comme on aime le coin de terre lié à sa naissance, à toute son âme et comme on aime toute portion de l’Église, mère entre toutes les mères. Et alors, apercevant ces grandes choses dans leur terrible conjoncture canadienne et américaine, je souffrais jusqu’à l’angoisse à la pensée que tout cela pourrait entrer dans l’histoire sous le signe d’une destinée manquée, d’un rêve avorté. De là, ce que l’on a pu appeler mon prosélytisme, mon ardeur combative.

Revenons à cette conférence du 23 juin 1939, prononcée à un dîner de la fête nationale, à l’hôtel Windsor (Montréal). Sa Majesté la reine venait de passer au Canada, visite traditionnelle de ces bons souverains de Grande-Bretagne à la veille des grandes guerres, et qui venait, une fois de plus, comme par pur hasard, réchauffer le zèle impérialiste des bons coloniaux. À Ottawa, la reine avait parlé français et tenu des propos qui, à certains égards, sortaient un peu du ton officiel. Elle avait habilement lancé un vif appel à l’entente des races au Canada :

Au Canada, comme en Grande-Bretagne, avait-elle dit, la justice s’administre selon deux grandes législations différentes. Dans mon pays natal, en Écosse, nous avons un droit basé sur le droit romain ; il sort de la même source que votre droit civil dans la vieille province de Québec.

En Angleterre, comme dans les autres provinces du Canada, le droit coutumier l’emporte. À Ottawa comme à Westminster, les deux sont administrés par la Cour suprême de justice. Cela est à mes yeux, d’un très heureux augure.

Voir vos deux grandes races avec leurs législations, leurs croyances et leurs traditions différentes, s’unir de plus en plus étroitement, à l’imitation de l’Angleterre et de l’Écosse, par les liens de l’affection, du respect et d’un idéal commun : tel est mon désir le plus cher.

Citation un peu longue, mais indispensable à ce qui va suivre. On m’invita, dis-je, à prononcer la conférence au grand dîner de la Saint-Jean-Baptiste au Windsor. L’invitation n’était pas gratuite. Je