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septième volume 1940-1950

comme disent encore nos impérialistes — ne peut aller en guerre en section, nous entêter à porter le fardeau que vous savez, nous épuiser tous les dix ou vingt ans, à défendre, sur tous les points du globe, l’Empire le plus vulnérable du monde, mais avec la perspective de sombrer, un jour ou l’autre, avec le colosse, ou pour le compte du colosse. Car libre à l’âne de chasser avec le lion ; mais l’âne n’a pas le droit de se plaindre de ce que la chasse lui rapporte. »

Propos déjà osés que venait aggraver un autre motif d’espoir : la structure artificielle de l’Empire, parvenu « au point critique et fatal où en arrivent tous les empires. Composé de trop de nations à l’âge adulte, il ne peut plus les retenir qu’en amenuisant sans cesse les liens qui les rattachent à son giron. Force lui est de diminuer tout autant la pression autoritaire au centre que d’accroître la liberté à la périphérie. » Persuadé, dès ce temps-là, d’une inévitable désintégration de l’Empire britannique, j’avoue toutefois que je ne la prévoyais ni si prochaine, ni si rapide. Le bouledogue impérial, le fier M. Winston Churchill, ne venait-il pas de le déclarer avec hauteur ? Il n’était pas devenu le premier ministre de Sa Majesté « pour liquider l’Empire ». Ce qui ne m’empêchait point de terminer ma conférence par un pressant appel à la jeunesse, lui désignant comme « l’idéal politique et national le plus élevé, et de la plus urgente opportunité », la lutte pour « l’indépendance du pays de ses pères ». Et je souhaitais un peu solennellement un Canada osant devenir libre, « libre de son corps et de son âme, libre, un de ces matins, au son des cloches et des canons, dans la joyeuse et finale indépendance ».

Dans un compte rendu de mon ouvrage : L’Indépendance du Canada, qui contenait cette conférence et quelques autres discours et écrits sur le même thème, M. Héroux écrivait (Le Devoir, 28 mars 1950) : « Le temps n’est plus où l’on ne pouvait, sans scandaliser beaucoup de gens, parler de l’indépendance du Canada. » Affirmation peut-être vraie en 1950, mais qui ne l’était point en 1945. Des catholiques anglo-ontariens, présents à la Semaine sociale, assistaient à ma conférence. Elle émut le Canadian Register de Toronto. J’avais eu beau déclarer que mon opinion n’engageait que moi seul. Le journal de Toronto crut nécessaire de dégager la responsabilité de l’épiscopat et de l’Église, de mes