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septième volume 1940-1950
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Canada, ces textes aient si peu changé notre comportement politique, si peu atténué notre colonialisme ? Mystère pour les naïfs uniquement qui n’ont jamais soupesé la persévérante vigueur du vieux et chatouilleux loyalisme dans l’âme canadienne-française, loyalisme entretenu, cultivé par nos politiciens. Nul mystère, non plus, pour qui a connu le tenace esprit impérialiste des Anglo-Canadiens. Mystère qui m’entraînait pourtant à ces sévères réflexions : « Que, pour la première fois dans l’histoire, un jeune peuple ait traité son avènement à la pleine liberté, comme un incident négligeable, et qu’il n’ait vu, dans sa Charte d’indépendance, qu’un chiffon de papier, comme tant d’autres, qui doit être tenu responsable de ce comportement inouï ? Les Canadiens, Canadiens français et Anglo-Canadiens, ont facilement à la bouche les mots de “démocratie” et de “liberté”. Croyez-vous que les choses se seraient passées de cette façon, si l’on s’était souvenu qu’en démocratie, il n’appartient à personne, seraient-ce les maîtres du pouvoir, de retarder l’heure de l’indépendance d’un pays, encore moins de le frustrer de son avenir et de sa liberté, surtout quand on ne cesse de demander à ce pays de se battre jusqu’à l’épuisement pour la liberté des autres ? » Après quoi il m’était facile d’opposer à ce statisme des contemporains le sentiment des ancêtres politiques au Canada se rebiffant, à chaque évolution du pays, en 1774, en 1791, en 1842 et même en 1867, contre l’opiniâtreté de Londres à maintenir indéfiniment « l’ancien régime sous le nouveau ». Non, et bien au contraire, disais-je, les ancêtres n’ont jamais « considéré les textes constitutionnels comme des arrêts inexorables, comme le dernier terme de l’évolution politique et nationale. Pas davantage, selon l’imposture historique qu’on tente de nous enseigner, n’ont-ils voulu attendre patiemment leur libération de la munificence anglaise, assurés dans leur quiétisme loyaliste, que la liberté vient de la petite île des bords de la Manche, comme le café vient du Brésil. L’habileté persévérante et magnifique des ancêtres, ce fut d’allier, dans leur esprit, avec un art supérieur, l’empirisme britannique à leur logique de Français ; ce fut de jeter celle-ci dans celui-là, comme un ferment d’évolution irrésistible, et d’avoir été ainsi, dans leur pays, et même à travers tout l’Empire, les plus actifs ouvriers de l’émancipation coloniale. »