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mes mémoires

compatriotes canadiens-français vers une politique illusoire, vers cette fumisterie du « gouvernement responsable » qui ne pouvait être en pratique et à la longue, que le règne de la majorité anglaise. Politique funeste, appuie-t-on, où la nationalité canadienne-française aurait couru le risque de sombrer. Le grand homme des débuts de l’Union, selon la même école, ce ne serait pas LaFontaine, mais bien plutôt Francis Hincks, l’artisan de l’essor économique. Bien plus, me soutiendra un jour l’un de ces jeunes historiens, le geste de M. Louis-Stephen Saint-Laurent, induisant tous les chefs d’État étrangers, reçus au parlement d’Ottawa, y compris Winston Churchill, à parler français, l’emporterait de haut sur le geste de LaFontaine prononçant en français son premier discours au parlement de Kingston. Entre les deux gestes, l’on pourrait tout de même apercevoir cette différence que celui de M. Saint-Laurent visait tout au plus à faire respecter le bilinguisme du parlement fédéral et à faire se ressouvenir d’un état de choses qui datait de 1867 et même de 1842, et que le discours français de LaFontaine était l’intrépide riposte à la politique génocide de Londres. Geste de protestation sans lequel même l’état de choses de 1867 aurait pu n’être point possible. L’un des grands dangers dans l’interprétation de l’histoire, ne serait-ce point d’y introduire trop de contemporanéité ? Sans doute un certain recul aide-t-il à mieux juger les faits. Il convient de les replacer dans le contexte exprès de leur temps, si l’on veut les bien comprendre et les justement expliquer, et surtout si l’on prétend faire de l’histoire scientifique. LaFontaine, premier ministre à trente-cinq ans, nous a toujours paru le jeune politique qui, d’une situation impossible,