Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
343
huitième volume 1950-1967

Que de fois je reviendrai sur ce thème. Je le reprends en particulier en septembre 1936. Il y avait alors à Montréal un Congrès des Jeunesses patriotes, jeunesses à tendances fortement séparatistes. Elles espéraient de moi une déclaration nettement favorable à leur idéal politique. Je les déçus quelque peu et peut-être beaucoup. J’avais intitulé ma causerie : « Labeurs de demain ». Et j’y traitai de nos devoirs envers la culture. Chemin faisant, je disais des choses « énormes » pour l’époque. En dénonçant, par exemple, l’anglomanie scolaire. « L’anglomanie scolaire, osais-je m’écrier, ayons la loyauté de le reconnaître, est, pour une bonne part, conséquence et fonction de la domination économique anglo-américaine. À mesure que nous reviendrons à un état normal, il est permis d’espérer que le fétichisme de l’anglais décroisse dans les esprits. On peut même prévoir le jour où, pour obtenir un emploi dans le Québec, les anglophones se verront contraints d’apprendre le français. »

Encore cette autre audace et à propos toujours du problème économique : « La locomotive qui emporte chez nous le train économique ne nous appartient pas. Elle va où il lui plaît. En réalité, pour nous Canadiens français, le train va à reculons ; brutalement la locomotive nous écrase. Ce qui presse, c’est de sauter dans la locomotive, d’en prendre la direction et de faire que le train charrie notre avenir. » Plus osée peut-être, cette autre déclaration : « En somme, que lui manque-t-il (à notre peuple) ? Avant toute chose, une mystique de l’effort. Que dans les écoles, les couvents, les collèges, on cesse enfin de fabriquer en série tant d’invertébrés, tant de bibelots de salon, qui sont, je l’ai déjà déploré, une insulte à une éducation catholique ; que, pour redresser l’âme de nos fils et de nos filles, on leur fiche dans la tête, comme un clou rivé, ce mot d’ordre, ce leitmotiv obsédant : Être maîtres chez nous. [Maîtres chez nous, le slogan des élections du Québec en 1960 !] Que tous les murs des classes leur crient la grandeur de ce but ; qu’on les y achemine par une éducation volontaire, virile ; et dans dix ans, une race nouvelle de Canadiens français aura surgi, une race déterminée à prendre possession de sa province. »

Toujours dans cette conférence, j’attaquais de façon plus directe le problème politique. Je refuse de m’arrêter à quelques