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huitième volume 1950-1967

québecoise dans le Québec. L’État décide de se mêler de notre destin et dans l’ordre politique et dans l’ordre économique et culturel. Et personne ne s’étonne plus de ces interventions de l’État québecois, dès lors qu’on y respecte les traditions de la nation. Espoir, confiance en l’avenir qui prennent racine — pourquoi ne pas le dire ou le redire en passant ? — au fond de nos plus dangereux malaises au Canada et dans notre manière d’y faire front. Depuis la Confédération, c’est-à-dire depuis un siècle au moins, par nos sottises politiques, par la mollesse de nos réactions plus verbales que pratiques devant les pires spoliations ou violations de l’esprit et du texte du pacte constitutionnel, nous avions si libéralement développé, en l’esprit de nos associés, l’image d’un peuple sans ressort viril, résigné au grugement de son âme jusqu’à en mourir, qu’aujourd’hui, notre soudaine ressaisie et la force sinon même la violence de nos réactions déconcertent le rival ; il n’y comprend plus rien, indigné comme le lion qui verrait tout à coup sa proie lui glisser entre les griffes. Indignation qui ne change rien à nos attitudes.

Je parle de ces choses et je les écris avec une sorte de flegme britannique. Je n’ai jamais éprouvé devant la « race supérieure » le moindre complexe d’infériorité. Complexe d’où provient, pour une large part, à mon avis, la sorte d’inimitié ou de fanatisme qu’entretiennent à l’égard de nos associés anglo-canadiens, beaucoup de Canadiens français. Rancune du faible à l’égard du fort. Non. Sans me faire illusion sur le passé anglo-canadien non plus que sur le péril pour nous de cette masse imposante et facilement hostile, je crois que les moyens nous restent d’affronter le rival et même d’en triompher. Nous tenons entre les mains tant d’atouts précieux dont il ne faudrait que savoir bien user. En mon humble cas, il arrive que, pour avoir franchement écrit et franchement parlé, cette franchise ne m’a nullement nui. L’on a vu tout à l’heure que les grands journaux anglo-canadiens recherchent mon opinion sur les problèmes de l’heure. Des historiens anglo-canadiens ont offert spontanément leur collaboration à la Revue d’histoire de l’Amérique française. M. W. L. Morton, historien de Winnipeg, a sollicité l’honneur de