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mes mémoires

méditer la doctrine d’un grand théologien qui me paraît l’un des maîtres de l’heure : le Père Jean Daniélou, dans ses ouvrages tels qu’Approches du Christ, L’Oraison, problème politique, etc. J’y perdis mon temps et ma peine. Je n’ébranlai point ces inébranlables. Le numéro subséquent d’Aujourd’hui Québec me servit la réplique en termes respectueux. L’on ne voulait pas se refuser au temporel, mais l’on entendait bien se garder contre le « piège » du nationalisme. Je regrettai mon échec, mais surtout pour ces jeunes gens de bonne volonté trop étrangers à ce qui se passe dans leur province et surtout aux aspirations de l’actuelle génération.

Entrevues avec des journaux anglo-canadiens

Fait singulier ! Aussitôt ma retraite de la vie publique, ne parlant et n’écrivant plus guère, si ce n’est en de rares occasions, et du ton modéré d’un sage, puis nos hommes d’affaires et même nos politiciens s’étant forcément convertis au nationalisme, ainsi que l’exigeait la « Révolution tranquille » du Québec, tout à coup, dans ces milieux où naguère l’on me tenait pour une « bête noire », un esprit dangereux, un étroit nationaliste, presque un anarchiste, tout à coup, dis-je, l’on découvrit que je n’avais ni cornes, ni pieds fourchus. Je me trouvai bien avec tous nos politiciens, sauf peut-être ceux d’Ottawa. Ma réputation d’anglophobe n’avait été bâtie, du reste, surtout que par mes chers compatriotes des affaires et de la politique. Je n’invente rien. Parmi ces politiciens, je pouvais compter nul autre que le « Très honorable » Louis Saint-Laurent, alors premier ministre du Canada. En septembre 1954, il prononçait, au Club de Réforme de Québec, un discours pour le moins étrange, en contraste absolu avec l’habituelle sérénité du personnage. Il allait jusqu’à dire : « Si le Québec n’est pas content, il peut voter contre nous. » Et pendant qu’il y était, il se lançait à l’attaque des nationalistes. J’y avais ma part. Le Ministre s’en prenait à mes théories « selon lesquelles il faut qu’il y ait en Amérique un État catholique et français séparé de ces sacrés protestants ». Prié de dire mon sentiment, je me contentai de répondre aux journalistes : « M. Saint-Laurent serait sûrement bien en peine de trouver dans mes écrits ou mes discours des intentions ou des