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huitième volume 1950-1967

a fait si peu, hors nous faire tant de mal, doctrine d’un catholicisme irréel, intemporel, désincarné, qui ne voit dans l’Église qu’une institution planant au haut des airs, incapable de s’attacher à un peuple particulier, d’embrasser ses problèmes, de s’associer à son destin, d’y préparer concrètement le royaume de Dieu. Je fis part de mes inquiétudes à la rédaction d’Aujourd’hui Québec. On sollicita une entrevue. J’eus devant moi, six ou sept jeunes hommes, dont l’un plus âgé, mais visiblement rebiffés contre toute attaque adverse, emmurés dans leur doctrine ou leurs façons de penser. Ils parlèrent peu, se contentant d’écouter avec des visages sceptiques. J’eus beau leur représenter l’aspect terrestre et temporel du catholicisme épousant toutes les aspirations légitimes des peuples de la terre, s’insinuant dans leurs institutions et traditions pour les redresser, les épurer, les rendre plus aptes à la réception de la doctrine et de la morale du Christ. Les sachant suprêmement en garde contre toute forme de nationalisme, n’y voyant qu’impureté, déviation de l’esprit chrétien, je m’acharnai en vain à leur définir mon propre nationalisme. « Je suis nationaliste, leur dis-je, — et je vois encore leur effarement — non point quoique prêtre, mais parce que prêtre, parce que mon nationalisme débouche sur le spirituel. L’histoire m’a révélé cette joyeuse et grande réalité d’un petit peuple, porteur en Amérique du Nord, d’un unique et incomparable destin. Nous sommes, dans la Confédération canadienne, une enclave française et catholique. Enclave considérable géographiquement, mais petite en population et en moyens de s’acquitter d’une si extraordinaire destinée. Dans notre partie de l’Amérique, nous sommes le seul groupe humain constitué en nation et en État, capable de créer une civilisation chrétienne et de représenter sinon d’illustrer l’une des plus magnifiques cultures du monde. C’est cela notre avenir, notre devoir. Et parce qu’il m’apparaît que cette tâche, garder à Dieu, à l’Église, un peuple authentique chrétien et catholique, vaut la peine d’y donner une vie, je suis nationaliste. Je ne le suis point pour d’autres motifs. Si j’ai paru m’intéresser et fortement parfois à des intérêts politiques, économiques, sociaux et culturels, c’est que l’observation et l’histoire m’ont aussi appris de quoi est faite la vie d’un peuple et que la surnature a besoin de compter avec le temporel et le naturel. » J’eus beau également conseiller à ces jeunes gens de