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mes mémoires

à une entreprise de cette envergure que nous voudrions convier la jeunesse. Qu’elle se replie sur nos hérédités héroïques, sur ses croyances, sur Dieu. Dans le potentiel de notre passé, dans la fierté, dans la joie de se savoir français, d’appartenir à une culture faite d’ordre spirituel, d’harmonieuses convenances avec l’esprit humain ; dans la certitude de posséder, par sa foi catholique, une saine philosophie politique, une saine philosophie économique et sociale, dans l’ensemble de ces sentiments et de ces forces, il y a toutes les conditions d’une cure d’air natal ; il y a de quoi tout refaire[NdÉ 1]. »

Inutile correctif. J’avais voulu écrire un article qui fît choc ; j’avais voulu secouer l’apathie générale dont je me sentais épouvanté. Je ne manquai point mon coup. Quelques timides amis me donnèrent raison. D’autres se sentirent déconcertés ; quelqu’un même, je ne sais plus qui, me décerna l’épithète de « fossoyeur de la race ». Quant à l’auteur de l’article, peu accessible au pessimisme défaitiste, il ne tarda point à se ressaisir. Il prononçait bientôt, à Maisonneuve (Montréal), une causerie qu’il intitulait : « Les chances d’un relèvement ». Je note la chose parce que la causerie se rattache, elle aussi, à la question nationale, question qu’à l’époque j’aborde de toutes les façons. À Maisonneuve je m’en prenais à une grave offensive contre notre enseignement : une poussée de bilinguisme proprement périlleuse. Je ne me suis jamais opposé, quoique l’on n’ait cessé de le penser et de l’écrire, à l’enseignement de la langue seconde, l’anglais. En revanche, de cette langue, j’ai toujours combattu un enseignement trop massif et prématuré à l’école primaire. Et j’en ai toujours appelé au témoignage unanime des pédagogues, non seulement de ceux de notre pays, mais de ceux de tout pays et de toute race. Pour le dire en passant, le bilinguisme total, intégral, répandu, accepté dans toutes les écoles du Canada, d’un océan à l’autre, m’a toujours paru une autre lubie de rêveurs à demi déments. Jamais un peuple, une nation qui veut garder sa culture originelle, et moins que tous, nos compatriotes anglo-saxons, n’acceptera cette formation intellectuelle hybride. Il faut le répéter : peu de têtes sont faites pour porter avec aisance et sans les mêler, deux langues. Surtout point les enfants. Formation hybride qui ne s’accomplit qu’au péril même

  1. « L’an 1940 », L’Action nationale (août-septembre 1940) : 5-21.