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mes mémoires

Héroux n’y étaient plus. Mais leurs grandes ombres se profilaient encore sur leurs très proches disciples qui, par là, gardaient quelque chose des grands commencements. Comment définir André Laurendeau, cet homme alors encore jeune, de taille légèrement au-dessus de la moyenne, d’apparence frêle, de figure pâle avec des yeux luisants, d’une démarche oscillante, démarche d’un homme qu’on eût dit mal posé sur ses pieds, et dont on aurait pu augurer de faciles déviations dans la vie. En 1960, André Laurendeau paraît encore de l’authentique lignée du Devoir. Les événements l’ont décoré d’une fort belle jeunesse. Il a été des Jeune-Canada ; il en est devenu l’âme. J’ai même songé, on s’en souvient, à faire de lui, mon successeur à la chaire d’histoire. D’autres prestiges lui sont venus. L’un des premiers militants dans la Ligue de la défense du Canada, il passera facilement, après la révolte du groupe de Québec, à l’élite dirigeante du Bloc populaire. Un congrès du Bloc fera même de lui le chef québecois de ce mouvement politique. Il siégera en 1945 à la législature de Québec, avec deux autres de son groupe. Puis, il abandonnera la politique et le Bloc pour devenir au Devoir l’assistant du nouveau directeur, Gérard Filion. Rupture, en sa vie, que beaucoup de ses anciens amis jugeront défavorablement. André Laurendeau eut beau dire qu’il s’en allait simplement sur un autre théâtre défendre les mêmes idées. Le passage d’un théâtre à l’autre s’accompagne d’équivoques qui laissent toujours une trace malheureuse, comme un trait de plume qu’on tente d’effacer. Le papier reste un papier gratté. Au fond, je crois que Laurendeau ne croyait plus en l’avenir du Bloc et l’aventure du journalisme le séduisait. Dans le temps j’avais dit à Gérard Filion : « Pourquoi vous faut-il diminuer votre ami Laurendeau pour l’amener au Devoir ? Est-il si nécessaire qu’il quitte la politique ? Bourassa dirigea Le Devoir sans quitter le parlement d’Ottawa. » À quoi Filion me répondit : « Bourassa pouvait faire des choses que Gérard Filion ne saurait faire. » Changement de théâtre qui, pour Laurendeau, n’en resta pas moins un malheur. Son chef, Maxime Raymond, ne lui pardonna jamais cet abandon et surtout dans les formes où il s’était accompli. Depuis ce jour ses meilleurs amis ne cesseront de s’interroger à son sujet. J’en sais quelque chose. On me demandera : « Qui est-il ? Peut-on compter sur sa franchise ? etc., etc. » Pendant quelque temps André