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mes mémoires

nait d’écrire. Il resta muet. Sans doute l’éloge du cardinal Léger lui parut suffire.

Chemins de l’avenir

Pourquoi ai-je écrit cet autre livre ? Dans ma préface, j’ai fourni quelques-uns des motifs qui m’y ont déterminé. Qui n’a été bouleversé par la révolution d’esprit surgie chez nous, en ces derniers dix ans, révolution explosive qu’on a décorée du plus mensonger des noms : « Révolution tranquille » ? Aucun événement dans notre histoire, pas même la Conquête anglaise ne nous aura à ce point remués, ébranlés jusqu’au fond de nos assises. Ce n’était plus une révolution politique, un changement de pôle culturel qui jadis n’atteignait que la surface des âmes. C’était un déferlement fou de vagues fracassantes ; tous les reniements à la fois : reniement de l’histoire, des traditions, le dos tourné au passé ; l’attaque plus que sournoise contre tous les éléments constitutifs de l’homme canadien-français, des fondements mêmes où il avait jusqu’alors assis sa vie. Homme de la technique moderne, des forces nucléaires, démiurge lancé à la conquête de l’espace astral, pouvait-on rester croyant ? Pouvait-on s’emprisonner dans les vieilles cultures méditerranéennes, se figer dans le type intellectuel de la Renaissance, quand les conjonctures historiques et géographiques ne proclamaient viable que l’homme nord-américain ?

Ainsi les problèmes se posaient et tous à la fois. Qui, parmi nos penseurs, s’était mis à la tâche d’expliquer ce phénomène, ce séisme des esprits ? Ici et là, l’on eut pu relever quelques tentatives d’explications, mais toujours partielles. Moi-même je refusai d’abord, malgré nombre d’instances, un essai d’explication. Je me sentais aussi perdu qu’un enfant dans une forêt tropicale. Mais le moyen de rester indifférent, de ne plus réfléchir sur les hommes et les événements, quand vous vous sentez bousculé, que tout autour de vous paraît s’effondrer ! Un drame se jouait qui était le mien, celui des miens, et qui, plus qu’au théâtre, m’empoignait, me serrait la gorge. Mais ma promesse publique de ne plus écrire ! Qu’en faire ? Autour de moi, les instances se pressaient… Je succombai à demi. Au cours de ma vie, j’ai toujours