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mes mémoires

versité de Montréal, m’a voué le culte d’un disciple, y alla d’un grand article dans Le Devoir. Le titre seul, « Un maître », m’empêche d’en dire davantage. Mais l’éloge ne pouvait me déplaire de la part de l’homme qui, par sa vaste connaissance de toutes les littératures, surtout de la française, et qui aussi, par la magie de son style, sa façon d’aller tout droit au fond d’une œuvre, est en train de se placer, et d’emblée, au premier rang de nos critiques. Mon Canada français missionnaire me vaudra encore la découverte d’une conquête inespérée, jusque-là ignorée de ma part, conquête de l’esprit le plus libre de chez nous, le plus escarpé, dirais-je même : Victor Barbeau, fondateur de l’Académie canadienne-française. Sa plume n’a jamais été un goupillon. Rarement a-t-il distribué de l’eau bénite. Son article, écrit pour Le Nouveau-Journal, le 31 mai 1962, se rapporte au Canada français missionnaire :

« Je pensais à cela (le critère du public dans l’estime des valeurs), l’autre soir, en assistant au lancement de son dernier ouvrage. Quelle existence dynamique que celle de cet homme poursuivant jusque dans la vieillesse, son œuvre de grandeur et d’amour ! Je n’en sais pas, pour ma part, dont le labeur ait été à la fois si constant et si fertile. Je n’en sais pas, non plus, qui ait aussi prodiguement et efficacement marié l’action à la pensée. Je l’écris avec d’autant plus de joie que je n’ai pas toujours été de ses fidèles. »

C’est déjà plus que je ne pouvais attendre de ce généreux ami. Mais, en son article, ce qui m’a plu et étonné par-dessus tout, c’est le service que je lui aurais rendu de la découverte d’une patrie :

« Tout cela ne vaudrait pas la peine d’être raconté, continuait Barbeau, si ce n’était, en définitive, pour avouer que, sans le chanoine Groulx, j’en serais encore à me chercher, nationalement parlant. J’avais besoin de lettres de naturalisation, et c’est lui qui me les a données. J’étais un voyageur sans bagages, et c’est lui qui m’a révélé que je portais mes morts. S’il ne s’agissait que de moi, le fait serait indigne de mention, mais à combien de milliers d’autres n’a-t-il pas découvert la patrie charnelle ! »