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huitième volume 1950-1967

dit est la dernière illusion dont se dépouille le front des vieillards. Mais cette dernière illusion, je voudrais tant l’avoir perdue avant qu’on m’en avertisse. D’ailleurs, entre nous, s’il ne s’agit que d’écrire un peu plus de sottises, il y en a tant d’autres, ce me semble, qui pourraient avantageusement me remplacer. »

En cet aveu et en cet adieu, étais-je sincère ? Je réponds : oui. On aura pu entendre, du reste, mes raisons de déposer la plume. J’ai toujours cru qu’il fallait respecter son métier d’écrivain, qu’il fallait se méfier de son âge. Un écrivain qui ne se sent plus la main aussi ferme doit cesser d’écrire, tout comme l’acteur, dont la voix faiblit ou devient rauque, doit quitter la scène. Pouvais-je alors deviner que ma vie s’allait prolonger et qu’il faut travailler jusqu’au moment où le dernier scrupule ferme le dernier œil ?

Lancé si solennellement, Le Canada français missionnaire paraissait voué au grand succès. Le premier mille d’exemplaires s’enleva si rapidement qu’on parla tout de suite d’une réédition. Il n’y eut pas de réimpression. Le livre paraissait à la veille des vacances. Les vacances le firent oublier. Après le lancement si solennel, Fides crut inopportune toute publicité. On avait dit au surplus : le livre paraît à l’heure. Il confond les méprisants, ceux qui ne voient en nous qu’un petit peuple de ghetto, recroquevillé « comme un poussin dans sa coquille », avais-je même écrit. Au vrai, ce Canada français missionnaire, tout comme L’Empire français d’Amérique, paraissait à mauvaise heure. Il déplaisait trop à certaine critique, pour que cette critique lui fît l’honneur de s’en occuper. Si bien que je crus, ainsi qu’on dit vulgairement, avoir manqué mon coup. Ce que je croyais être mon dernier ouvrage colla sur les tablettes des librairies. Pourtant soyons juste. Il m’avait valu d’éloquents témoignages. Jean Éthier-Blais qui, pour avoir été l’un de mes étudiants à l’Uni-