Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
294
mes mémoires
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

des témoignages précis, témoignages de gens par trop modestes pour avoir envie de tromper. Car je crois à la sincérité des humbles, tout comme je crois à la grandeur de ceux-là qui n’ont pas besoin de se hisser sur la pointe des pieds pour paraître grands. Quoi qu’en pense une génération de jeunes désabusés qui voudraient tout ramener à leur taille de Lilliputiens, je n’admets point que soit close l’ère des héros et des saints… »

Qu’ajoutai-je encore ? « Et puisque j’en suis à vous exprimer mes refus, vous dirai-je qu’à mon sens l’héroïsme ne cesse pas d’être l’héroïsme parce qu’il se mêle d’apparaître en notre jeune histoire, pas plus qu’il ne faille par je ne sais quelle fausse pudeur l’appeler d’un autre nom, parce qu’il est de chez nous ? Il y a deux semaines tout au plus, j’écrivais la dernière ligne de ce Canada français missionnaire. Est-ce ma faute si jamais, en toute ma vie d’historien, je n’eus si fortement l’impression d’avoir manié une pâte humaine d’une aussi magnifique essence ? Souvent, en feuilletant mon amas de documents si palpitants de vie, l’avouerai-je encore, j’ai senti battre le cœur d’un petit peuple qui se retrouvait dans ce qu’il a de meilleur : le vieux fonds de sa foi. Et je le répète, est-ce ma faute si cette histoire est belle ?… »

C’est à la suite de ces réflexions que je prenais congé de mes lecteurs et annonçais la fin de ma carrière d’écrivain :

« Je recommande donc à votre bienveillance, disais-je, sinon à votre pitié, ce dernier de mes écrits. Oui, le dernier, le vrai dernier, et je vous en baille ma parole. Autrefois, quand j’étais jeune — il y a longtemps — si quelqu’un hasardait la question : “Avez-vous lu le dernier livre d’Émile Faguet ?” invariablement on répondait : “Lequel ?” L’on n’aura pas à se poser la question à mon humble sujet. Et je vous demande pardon de tant de lectures que je vous aurai infligées au cours de ma vie, tout en convenant néanmoins que ma contrition serait plus parfaite, si trop souvent le plus indulgent des publics ne s’était fait mon complice. Par votre faute, je sais ce que je n’ai pas écrit ; je ne sais plus ce que j’ai écrit. Mais voilà que advesperascit et inclinata est jam dies. Les ans m’obligent à me rappeler que le crépuscule s’en vient. Souffrez que je quitte la scène avant qu’on me tire le rideau. Oh ! je sais bien que l’illusion de savoir encore ce que l’on