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ques, économiques, militaires, qui ont commandé, imposé cette expansion de la Nouvelle-France ? Je me le suis déjà demandé : pouvait-on faire petit ? Que, certes et très tôt, l’expansion en vînt à dépasser la mesure de l’homme ; et surtout qu’elle se mît en désaccord avec la politique coloniale de la métropole, soit. Mais la grandeur de l’entreprise en est-elle diminuée pour tout cela ? Et la grandeur des hommes qui l’ont conçue, et la grandeur aussi des exécutants ?

Un champ reste, le champ immense et merveilleux où l’audace française s’est à cœur joie déployée. Et reste aussi l’époque où de pareilles entreprises pouvaient paraître presque naturelles. Non, je n’admets point l’œil froid ou moqueur, devant ces incomparables voyageurs, commerçants ou chargés de mission qui arpentaient les espaces, comme on arpente un jardin, qu’on a vu hier, sur les Grands Lacs, sur le Mississipi, qu’on verra demain, au fond du lac Supérieur, par-delà les plaines de l’Ouest, sur l’Outaouais, à Montréal, à Québec. Volontés d’acier que rien ne pouvait briser, hommes de guerre ou de mer, qui conquéraient Terre-Neuve, puis la baie d’Hudson, redescendaient vers la Louisiane. Chefs, par surcroît, sorte de petits souverains, gouverneurs des vastes provinces de l’Empire, gardiens de l’ordre, de la paix, de la civilisation et y habituant les nations indigènes. Oui, tout cela a existé, et dans l’histoire de la Nouvelle-France. Confesserai-je qu’en choisissant ce sujet, je m’accordais le contentement secret de tant de rêves ou passions nourris en ma jeunesse de collégien : l’attrait des grands desseins, du beau risque, idéalisme mâle entré de force dans la réalité ?

Ce chapitre d’histoire me tentait ― oh ! combien ―. Mais je voulais l’écrire en historien. Mon livre, je le bâtirais à coups de documents. Il me suffirait de faire vrai pour faire beau. On y verrait dans leurs textes, à eux d’abord, tous ceux-là qui ont deviné l’Empire, puis ceux qui l’ont bâti. En tête du défilé, j’installais Jacques Cartier, le Cartier de cet après-midi du 3 octobre 1535, grimpé au faîte du Mont-Royal, et là devant la large porte ouverte sur l’horizon, se laissant fasciner par l’immensité du pays. Après Cartier, viendrait Champlain, l’explorateur poussant assez loin au cœur du pays pour y poser là le siège de l’Empire, le pré-