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huitième volume 1950-1967

mes premiers textes écrits ; je me plaisais à les peigner, à leur donner du poli. Je m’y mettais d’abord par respect pour ma langue. Pour elle, me semblait-il, l’on doit toujours s’efforcer d’être respectueux, galant : ce qui pourrait vouloir dire, écrire le moins mal possible, même avec art, si l’on en est capable. En ces reprises du premier jet, je trouvais un autre plaisir et un autre profit. Chaque effort pour améliorer sa forme, son style, enrichit l’idée, lui donne plus de force, plus de clarté. Où il faut nuancer, quel gain que la nuance ! Que d’effets obtenus par le retranchement d’un seul mot, d’un seul relatif, d’un seul membre de phrase ! La concision surgit comme une poigne qui se resserre. Et voilà que la page s’éclaire comme le jour, par l’écartement d’un rideau de fenêtre.

Notre Grande Aventure — l’Empire français
en Amérique du Nord (1535-1760)

Écrire. Mais quoi écrire ? Ma synthèse finie, je renonçai, tout de bon, à reprendre mes vieux manuscrits pour les mettre au point. Le travail me paraissait trop long, trop ardu, pour le vieillard que j’étais. Mais après tant d’années de compagnonnage, l’Histoire me tenait comme une impitoyable marâtre. Disons plutôt comme une vieille amie à qui l’on ne peut rien refuser. Un sujet me tentait, sujet qu’au cours de mes études, j’avais déjà effleuré. Mais il m’habitait à la façon de ces images suggestives, obsédantes, presque ensorcelantes, dont à tout prix il faut se libérer. Beaucoup de jeunes historiens n’attachent plus guère d’importance à ce que l’on appelle et doit appeler, en bonne et véridique histoire, l’Empire français d’Amérique. Ils n’y voient qu’une entreprise chimérique, rêve d’idéalistes, presque de songe-creux… Rêve fou d’une poignée d’hommes qui s’imaginèrent, un jour, pouvoir enserrer dans leurs bras, les trois quarts de l’Amérique du Nord. Rêve désastreux, dit-on encore, qui aurait préparé la catastrophe de 1760. L’on aurait voulu bâtir trop grand, quand il eut fallu bâtir petit, à sa mesure. L’on aurait trop embrassé quand l’on pouvait si peu étreindre… Historiens fantaisistes qui se disent pourtant si férus d’objectivité et qui ne tiennent nul compte du milieu géographique et historique de l’époque. Ignorent-ils ou feignent-ils d’ignorer les pressions politi-