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d’histoire à la radio ». J’avoue qu’avant d’accepter ces cent cours, j’avais songé à d’autres travaux. Je voulais reprendre, mettre au point tant de mes ouvrages d’histoire — une dizaine peut-être — restés en manuscrit ou dactylographiés et que, par scrupule, je n’avais pas publiés. D’autre part ces cent cours à la radio me tentaient. Si le temps me manquait, cela au moins resterait pour ceux-là qui garderaient quelque souvenir de ce premier professeur d’histoire canadienne en 1915. J’atteindrais ce large public que j’avais toujours espéré atteindre et à qui la moindre connaissance historique de son pays manquait effroyablement. Puis ces cent cours ne pouvaient que prendre la forme d’une synthèse. Je n’ai pas à rappeler que ces cours offerts d’abord à CBF se heurtèrent à un refus net. L’historien n’avait pas bonne réputation en ces milieux où l’on prône si haut la liberté de penser et de s’exprimer.

La Saint-Jean-Baptiste offrit les cours au poste CKAC qui les accepta sans grincher. Années de 1949 à 1951, années fébriles. À raison d’un quart d’heure par semaine, je récitai à la radio, l’œuvre la plus importante je crois bien, de ma carrière d’historien. Le pied une fois levé, je repris ma marche vers le labeur ardent. Je n’ai pas écrit que ma synthèse, j’ai parlé, j’ai combattu, oubliant ma vieillesse, ne me souvenant que du devoir de servir, tant qu’il fait jour. Autre et dernière décennie qu’on me presse de raconter.

Et pourquoi encore écrire ? Très jeune, petit écolier à Vaudreuil, je me suis rendu compte, ambitieusement, en écoutant hélas ! les politiciens, quelle prise peut donner sur les foules, l’art de parler. Et, dans nos petites élections de jeunes potaches, en 1891, j’avais goûté à l’éloquence du husting. Plus tard, au Collège et dès mes premières années, je me morfondis, par toutes sortes d’exercices, à capter l’art de l’écrivain. Cet art me paraissait maintenant supérieur à celui de la parole. La parole finit trop souvent avec le dernier applaudissement. Le livre, pour peu qu’il soit fort, de main d’ouvrier, reste. Idée, écho de l’âme, qui s’incruste dans les mots, dans les pages du livre, aussi vivante, aussi durable qu’une figure qui émerge d’un marbre, qu’une foi qui s’exalte dans l’élancement d’une cathédrale. Je sais un temps, en ma vie, où j’aimais singulièrement reprendre mes ébauches,