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I

DERNIÈRES ŒUVRES

Pourquoi écrire, à 88 ans passés, cet autre volume de mes Mémoires ? Longtemps j’ai résisté à des instances qui me paraissaient injustifiées. Hélas ! l’on a mis autant de persévérance à me presser d’écrire que j’en ai mis à refuser. Enfin et après tout pourquoi écrire ?

Je me rappelle mon état d’âme, en 1949, après mon départ de l’Université. Il me parut que je sortais tout de bon de la vie publique ou active. J’étais l’homme désarmé qui n’a plus qu’à rentrer chez soi pour soigner ses blessures en attendant la fin. Ou si l’on veut d’autres images, je me crus devant un grand vide, en face d’une terre nouvelle où j’aurais à m’orienter et à me trouver une tâche. J’oubliais que vivait en moi ce que d’autres ont appelé un « animal d’action » ; être naturellement expansif, jamais bridé. De multiples tâches m’avaient rivé à mon cabinet de travail. Jamais pourtant je n’ai gardé quoi que ce soit du rêveur de mes années d’adolescent. Toujours l’action m’a commandé. À toute heure de ma vie il me fallut faire quelque chose, ce quelque chose fût-il peu de chose. L’année 1949 me posait un cran d’arrêt. Mon « œuvre » étant finie — ou du moins ce que l’on appelait de ce nom œuvre — si j’écrivais des Mémoires, qu’aurais-je à raconter, sinon ma vie intime, c’est-à-dire à rabâcher le sujet le plus détestable du monde : parler de moi-même, de moi seul, me nourrir du plus désolant narcissisme. Je n’ai plus à dire comment on vint à moi pour me rejeter en pleine action. On voudra bien se reporter au chapitre intitulé « Mes cours