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septième volume 1940-1950

faveur que je vous demande en ma qualité d’Archevêque de Montréal. » M. le Maire se récrie. « Eh bien, oui, répond le solliciteur, on veut avoir ma tête et je crois qu’on l’aura. » Ce n’est qu’à la mi-janvier, à la suite d’une réunion d’évêques de l’archidiocèse chez lui, qu’il mande à son cabinet de travail trois évêques thérésiens : Nosseigneurs Chaumont, Papineau et Langlois, et les met au courant de ce qui lui arrive. « Vous a-t-il dit pour quelles causes il se sent frappé ? » ai-je demandé à Mgr Langlois. « Non, pas un mot. »

Le soir du 30 janvier, je donne, ai-je rappelé plus haut, à l’Ermitage de Saint-Sulpice, la conférence inaugurale de trois Journées d’études sacerdotales. Au premier banc de l’auditoire, ni l’Archevêque, ni aucun de ses auxiliaires. On sent dans l’air quelque chose d’insolite. À cette heure-là même un avion filait vers l’Ouest, emportant navré, prostré dans son malheur, l’Archevêque déposé par Rome. Souvent, l’image de cet avion survolant les Prairies et les Rocheuses me reviendra, étoile filante qui pouvait être le symbole d’une carrière si tôt foudroyée. Les premières impressions de l’infortuné ne se défendront point de quelque amertume. Rendu à Victoria, il écrit à l’un de ses amis, Mgr Paul-Émile Coursol, qui nous lit la lettre à Mgr Caza et à moi-même, quelque chose comme ceci : « En survolant les Rocheuses, je ne vous cacherai point que j’ai eu peine à reconnaître le visage de notre Mère l’Église, dans le coup qui m’a frappé. » Le ton de la lettre nous alarma quelque peu. « Il faudra beaucoup prier pour lui », dit quelqu’un de nous. On sait comme l’exilé eut tôt fait de se ressaisir. Volontairement il se dépouilla de tous ses insignes d’archevêque. Il donna jusqu’à la fin de sa vie un exemple de soumission d’une magnifique grandeur.

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