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cis ; celui-là, nous le souhaitons moins formaliste, moins schématique, plus vivant, en relations plus intimes avec la vie du Christ présent en l’âme de chacun. Un livre, déjà à sa 8e édition en 1913, nous avait tous marqués d’une empreinte profonde : l’ « Enquête d’Agathon » : Les jeunes gens d’aujourd’hui, d’Henri Massis et d’Alfred de Tarde. Ce souffle si frais, si nouveau, qui passait sur la jeunesse de France, ce printemps de résurrection de la vieille foi, nous avaient touchés au plus profond de l’âme. Impressions et émotions qui ont amené l’abbé Courchesne à ébaucher, dès ce temps-là, son beau et grand livre qui ne verra le jour qu’en 1927 : Nos humanités, ouvrage, petite Somme trop oubliée par les novateurs d’aujourd’hui, où pourtant ils auraient tant à prendre à titre de boussole, autre instrument, comme l’on sait, très démodé.

L’abbé était malheureusement de complexion fragile. Trop de travail finit par l’écraser. Il avait prêché aux autres la modération dans le travail. Il m’écrit, par exemple, en octobre 1915 :

Tâchez de ménager vos forces. Cet idiot de Chartier vient de sortir de ma chambre. Il est assez mal équipé, à ce qu’il me dit. Mon heureuse insignifiance me sauve de la fatigue, je pense. Ma santé est outrageusement prospère. Quelle affaire s’il me fallait finir mes jours dans la graisse.

Puis, brusquement, la grande fatigue s’abat sur lui. Une autre lettre de l’année suivante, datée de Salem, Mass., me l’apprend :

Mon cher ami, voici comment ça m’est arrivé. Je m’obstinais à finir un assommant rapport de conférence ecclésiastique ; j’avais refusé toute invitation, même celle d’aller à la Blanche où il y avait de très aimables gens ; après ce rapport je devais entreprendre une couple de corvées semblables : en un mot j’étais à me casser la tête avec méthode. Ça y était presque : je dormais tard le soir et m’éveillais tôt le matin et le cervelet me chuchotait le bruissement de quelque chose qui mijote sur un poêle surchauffé… Et c’est ainsi que je prêche aux « Canayens » de Salem, une neuvaine à Sainte-Anne, pour me reposer les méninges.

Le séjour aux États-Unis et la période de repos se prolongent plus qu’il ne l’avait pensé. En 1917 et 1918, on le trouve à Bourbonnais, Illinois, où les Viateurs canadiens-français tiennent encore un collège. Les Franco-Américains ont gagné son affection. Il ne cessera plus de s’intéresser à leurs problèmes, aux Francos