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septième volume 1940-1950

Mgr Courchesne laissa passer le flot d’éloquence, mais pour lâcher bientôt le mot audacieux : « Eh bien oui ! mais en dépit de tout cela, Rome ne nous aime pas ! » On devine le reste de la conversation et quelle litanie de nos griefs par trop légitimes, le jeune évêque y sut faire passer ! Un autre jour, il n’était pas encore évêque, il nous arrive au presbytère du Mile End. À Nicolet, on fête les noces d’or d’un personnage religieux de haute lignée. L’abbé Perrier fait mine de s’étonner de voir l’abbé Courchesne, absent de ces fêtes. Et le cher abbé de répondre : « Rien qu’à voir tant de monde tourner autour du vide, j’en avais le vertige ! »

Nous étions tous les deux professeurs de Rhétorique, lui à Nicolet, moi à Valleyfield. Nous pratiquions l’entraide. Je vois, par sa correspondance, que nous faisions l’échange de sujets de discours pour rhétoriciens. En 1914 et 1915, je lui envoie les premiers chapitres d’un Manuel d’histoire du Canada, plus développé que mon premier, je veux dire, celui que j’ai dicté en 1905 et 1906 à mes premiers élèves. Il me dit son sentiment sur ce projet qui ne verra jamais fin, par suite de mon départ de Valleyfield. Nous étions alors, et depuis 1903, quelques jeunes professeurs à rêver d’une rénovation du cours classique. Nous voulions un enseignement plus ouvert du grec et du latin, surtout dans les hautes classes. De magnifiques civilisations, un art de premier ordre se cachaient sous les textes. Pourquoi, nous disions-nous, ne pas révéler ces richesses intellectuelles à la jeunesse ? Nous voulions aussi perfectionner l’enseignement de la littérature française ; moins de principes abstraits, mais plutôt des principes tirés de l’explication des auteurs, explication alors par trop réduite à la portion congrue. Pour ma part je souhaitais et même préconisais l’abandon du discours ou de la dissertation hebdomadaire : procédé on ne peut plus propre, me semblait-il, à développer l’habitude du verbalisme et du verbiage, en l’esprit d’écoliers trop pauvres d’idées, de vocabulaire, pour s’astreindre à cette écrasante besogne. Nous désirions aussi un enseignement plus adapté de la philosophie aux problèmes de notre temps, une philosophie qui eût collé davantage à l’esprit des jeunes collégiens. Jusqu’où n’allaient pas nos audacieuses intentions de réforme ? L’enseignement de la religion n’échappe point à nos sou-