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mes mémoires

aux milieux les plus cultivés du vieux monde et s’y trouver à l’aise. Bourassa était de ceux-là. Dans les milieux romains, parmi les grands des Congrégations, le Cardinal qui avait ses limites, qui n’était pas ce que l’on peut appeler un « littéraire », s’imposait par sa haute connaissance des sciences ecclésiastiques. Au Canada on lui reconnaissait cette supériorité. Sur tous nos problèmes, il a projeté et pouvait projeter d’éclairantes lumières. On notera en particulier son discours du 25 juin 1935 : « Devoir et pratique du patriotisme ». Le peuple ne lui garda point rancune de ses errements pendant la guerre. Sa mort si soudaine et si lointaine toucha le cœur de la foule. À Montréal, on afflua autour de son cercueil, déposé un soir à la cathédrale. À Québec, on lui fit de splendides funérailles. Le Canada français venait de perdre sûrement l’un de ses grands fils.

Quant à celui qui écrit ces lignes, il portait déjà depuis longtemps le deuil incurable d’une longue et profonde amitié perdue.

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Sur cette tombe, des pensées austères nous viennent malgré nous. Le Cardinal avait beaucoup parlé, plus encore qu’il n’avait écrit. Qu’en reste-t-il ? Pourquoi écrire ? Pourquoi parler ? Secret espoir dont l’on se défend mal, espoir orgueilleux, sans doute, qu’on ne parle point, qu’on n’écrit point pour rien. Les arbres tombent dans la forêt, même ceux-là, hautains, qui, dans le tassement des autres, ont pu hisser leur panache en plein soleil. Ils tombent pour pourrir dans la mousse, avec les plus petits, plus humbles qu’ils ont écrasés. Mais tous ensemble, ils ajoutent à l’humus de la terre féconde. Et souvent, sur leur souche en poussière, germe un surgeon qui les dépassera de toute la tête.