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mes mémoires

mont du général Laflèche. L’Action catholique de Québec ose se prononcer pour une élection « par acclamation ». Richer, ai-je raconté, conteste publiquement à un journal d’Action catholique cette intervention dans un débat politique. Et il n’y va pas aveuglément. « J’avais pressenti le coup, m’écrit-il le 17 novembre 1942. Je l’avais dit au théologien auquel j’avais soumis mes articles avant leur publication : car vous pensez bien que je n’ai pas été assez imprudent pour me lancer à l’attaque sans un appui solide. » Un monitum sévère lui tombe quand même sur la tête. Et le monitum du Cardinal, envoyé aux journaux, n’est pas envoyé au coupable. Georges Pelletier, au Devoir, prend mal la chose. « J’entretenais, avec le Cardinal, me confiera-t-il, des liens assez amicaux, pour être prévenu ; et j’aurais pu arranger les choses sans éclat dans le public. » Quoique profondément blessé, Richer prit bien la chose. « Nous devons… faire notre devoir, me dit-il, dans cette même lettre de novembre 1942, même s’il faut nous passer des bénédictions épiscopales. Celles-ci sont réservées à Duplessis, à Godbout, à Lapointe, à Power, à Saint-Laurent. Il n’en reste plus pour nous. Et pourtant il nous appartiendra un jour — lorsque les difficultés s’accumuleront — de courir à la défense du Cardinal… Il risque de se trouver isolé, puisque l’appui qu’il reçoit des politiciens ne sera pas éternel. Son sort sera triste. Cela me fait de la peine pour lui. L’avenir lui réserve bien peu de joie. » Le cher cardinal fera voir autant de nervosité dans le cas d’Henri Bourassa. Il frappera le vieillard, se fiant à un simple rapport de journal. En bonnes mœurs journalistiques, il est d’usage qu’on prie d’abord le coupable de s’expliquer. A-t-il vraiment dit telles choses ? A-t-on rapporté fidèlement ses paroles ?… Le Cardinal crut plus expéditif le coup de crosse.

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Les dernières années approchent pour lui. Il devait succomber deux ans à peine après la guerre, le 17 janvier 1947. Sur la fin de sa vie a-t-il connu beaucoup de joie ? Les « axistes », comme on les appelait, avaient abattu Hitler, le Japon. Mais surtout n’avaient-ils pas travaillé pour la Russie ? Les maigres résultats de l’horrible mêlée, on peut même dire ses conséquences effroyables pour l’Europe et la civilisation occidentale,