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septième volume 1940-1950

désarmé devant l’acte de ces hommes qui soudainement entreprennent de couper en deux leur vie, rupture pénible et presque rageuse avec tout leur passé. On ne se permet de ces chutes qu’avec l’entêtement d’y rester. Ai-je eu tort de garder ce long silence ? Mgr Courchesne m’a quelquefois reproché mon excessive discrétion. Quelques lettres de ma part, quelques avis très respectueux, croyait-il, auraient pu empêcher bien des excès. Je n’en suis pas assuré. Ennuyé, déconcerté lui-même par la sourde résistance de l’opinion et par la tiédeur de ses collègues, accablé surtout, me disait-on, de lettres anonymes et souvent plus que méchantes, il était devenu d’une extrême nervosité. Un fait le prouvera. Je le tiens de Léopold Richer et du Père Marcel Desmarais, o.p. Un jour, ce dernier, directeur de la Revue dominicaine, demande un article à Léopold Richer. Richer accepte. « J’ai, dit-il au Père, une prière qui me mijote dans la tête. » Et il envoya au Père ces pages fort belles qu’il intitule : « Prière pour mes compatriotes », plaintes, adjurations d’un chrétien qui rappelle à Dieu les bienfaits exceptionnels dont il a comblé notre petit peuple, puis angoisse du priant devant le présent et l’avenir tous deux menaçants. En la prière de Richer, il y avait malheureusement ce passage : « Autrefois vos prêtres, vos représentants nous guidaient vers notre rude destinée. Ils n’avaient qu’un seul cœur et qu’une seule doctrine, la même partout. Aujourd’hui leurs voix discordantes jettent le trouble dans nos âmes. Il s’en trouve pour tenter de répandre une sorte de patriotisme qui n’est pas l’amour de notre patrie. » La prière va jouer de malheur. Un fâcheux concours de circonstances empêche le Père Desmarais de la publier en décembre 1940. Elle ne paraît qu’en une livraison de 1941 de la revue, après, si mes dates ne me trompent point, la fameuse cérémonie de Notre-Dame. Le Cardinal prend feu. Il se croit visé. Sommation aussitôt faite au directeur de la Revue dominicaine d’avoir à faire amende honorable dans la prochaine livraison de sa revue, sous peine d’être frappé d’un monitum. De peine et de misère le Père Desmarais explique à Son Éminence que la « Prière » lui a été remise bien avant la « grande cérémonie » et qu’en conséquence son collaborateur n’a pu viser ni la présence du Cardinal à Notre-Dame, ni son discours. L’épée menaçante n’en reste pas moins suspendue sur la tête de ce pauvre Richer. À l’automne de 1942 a lieu l’élection à Outre-