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au bout de son bras l’une de ces cartes : « M. l’abbé, l’on m’a envoyé deux cents de ces cartes ! »

Étranges errements d’un homme que tous vénéraient. De cette évolution, qui dira jamais le dernier mot ? Mystère des hommes et de l’homme ! Qui l’a jamais sondé jusqu’au fond ? Obsession d’images européennes, ai-je dit, à la défense du Cardinal. Mais combien je sens mon explication insuffisante. Sans doute faut-il aussi faire sa part à l’exemple de l’épiscopat américain. Il s’est abrité lui-même derrière cet exemple. Relisons sa causerie à Radio-Canada, un dimanche soir, au début de février 1943. Il tente de justifier son attitude. Il ne cache point, pour la guerre, la répugnance de l’Église : « société de paix, de concorde, de charité ». Il ne cache point, non plus, les premières hésitations, ni même, au début de la guerre, le penchant d’une partie de l’épiscopat américain pour l’abstention. Il ne se fait pas davantage illusion sur les visées cupides des nations « axistes » et en particulier du communisme. Quoi donc, en septembre 1942, inspire aux évêques des États-Unis The Bishops’ Statement on Victory and Peace ? Rien d’autre que la soumission à ces faits : déclaration de la guerre proclamée par le gouvernement de Washington, et surtout enjeu de cette guerre : l’intérêt de l’univers entier, « indubitablement l’issue morale la plus grave de l’heure présente » ; le sort de la dignité de l’homme, de la liberté humaine, de la liberté religieuse. « Voilà pourquoi, conclut le Cardinal de Québec, dans notre pays, les Évêques ont accepté la guerre, une fois qu’elle a été décidée par l’autorité compétente. » Eh sans doute ! Mais on ne fait pas reproche à Son Éminence d’avoir acquiescé à la déclaration de guerre du gouvernement canadien. Ce que ses amis d’hier, une grande partie de l’opinion eurent de la peine à lui pardonner, ce fut la fougue avec laquelle il s’engagea et la forme avec laquelle il servit. Que n’a-t-il imité la discrétion de ses collègues de l’épiscopat québecois ? Fougue que ne lui pardonnaient point, je le sais, l’Archevêque de Montréal, ni même son bon ami de Rimouski, Mgr Courchesne, impuissant comme bien d’autres à comprendre cette ardeur guerrière.

Je ne revois plus mon grand ami après notre entrevue de 1940. Son brusque revirement m’attriste et me blesse si profondément que je décide de me tenir à l’écart. Je suis toujours resté