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septième volume 1940-1950

en quelles circonstances j’en vins à préparer la fondation de cette œuvre au Canada français et j’essaie de tracer à ces jeunes gens un programme d’action. Mais une autre jeunesse, à cette époque-là, ne cesse de me préoccuper, celle de nos universités. Dans l’ordre de la pensée, sinon dans celui de l’action, cette jeunesse pouvait peser d’un poids plus lourd que toute autre. Nul mouvement de rénovation ne saurait se passer de l’élite pensante de sa jeunesse. Mais que pensait alors, sur les graves problèmes du Canada, que pensait la jeunesse de nos universités ? Elle me paraissait hésitante, flottante ; elle cherchait plus qu’elle ne fixait son choix sur quelques points essentiels. En trois occasions, à son appel, je tentai de lui offrir ce que j’appellerais des points cardinaux : points trop souvent oubliés, dans l’orientation de leur vie, par les hommes et les peuples.

À l’automne de 1939, les Jeunesses canadiennes tiennent un congrès au Collège MacDonald, à Sainte-Anne-de-Bellevue. On m’y invite à titre de conseiller. Empêché de m’y rendre, je m’en tire par une lettre au National Secretary, M. Grant H. Lathe, M.D., lettre qui parut dans Le Devoir (22 déc. 1939). Le pays est à une heure critique. L’on entre ou l’on va prochainement entrer en guerre, la deuxième Grande Guerre. Le Canada anglais s’inquiète de l’attitude du Canada français. Au Québec, les nationalistes regardent cette nouvelle intervention du Canada dans la même optique qu’en 1914. Il s’agit moins, pense-t-on, de « liberté » ou de « civilisation » que du heurt des grandes puissances industrielles et commerciales. Nos soldats iront se battre, non pas tant pour préserver l’Europe de la barbarie hitlérienne que pour sauver, encore une fois, l’Empire britannique, Titan fatigué qui va, du reste, s’y casser les reins. Donc ce que l’on appelle au Canada, l’union ou l’unité nationale, se voit, comme en 1914, gravement menacée. C’est toute la raison de ce congrès des Jeunesses canadiennes à Sainte-Anne-de-Bellevue. Devant une réunion forcément composée, pour une grande majorité, de jeunes Anglo-Canadiens, j’en profite pour m’expliquer une fois de plus sur les conditions d’une entente entre les races, conditions que j’estime absolues et seules d’efficacité possible. « J’admire votre travail et votre ambition : réaliser le plus tôt possible, chez nous, un minimum d’unité nationale, ai-je donc écrit à cette jeunesse. L’entreprise