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septième volume 1940-1950

Y eut-il, après Gravelbourg, évolution dans son esprit, dans ses attitudes nationales ? Quelques actes ne laissent pas d’inquiéter ses amis. Peu de temps après son arrivée à Québec, il décide avec ses collègues de l’épiscopat, de rattacher l’ACJC à l’Action catholique et d’en faire la clef de voûte de tous les groupes de jeunesses catholiques spécialisés. Je l’ai déjà dit et trop dit, l’Action catholique d’alors œuvre dans la stratosphère parfaitement indifférente, sinon même hostile, à tout ce qui est national. Elle oublie cette vérité affirmée avec force par Mauriac, dans Ce que je crois, qu’il ne faut point « séparer la recherche du royaume de Dieu de son accomplissement en ce doux royaume de la terre, comme disait Bernanos, qui serait déjà le royaume de Dieu si les hommes avaient accepté l’enseignement qui leur a été donné sur la sainte montagne ». Au nom de l’Église universelle on vide les jeunes générations de tout sentiment national, on jette dans la vie des catholiques déracinés, autant dire d’un catholicisme irréel, magnifiquement préparés à se transformer, dès les premiers contacts avec la vie, en petits esprits forts, prêts à se révolter contre les mauvais maîtres qui les ont désadaptés de leur milieu. Ce qui ne manque pas d’arriver. Un homme intelligent comme l’archevêque de Rimouski, Mgr Courchesne, a douloureusement prévu cet échec et ce péril. On s’en aperçoit tôt, du reste, au foisonnement de sociétés de jeunes qui s’organisent en dehors des cadres de l’Action catholique, jeunesse pétulante, telles les « Jeunesses patriotes », qui n’entendent que trop se passer de la direction du clergé. Les évêques se hâtent, en 1941, de rendre l’ACJC à ses fins premières. Mais qu’est-elle devenue ? Un squelette, sans cadres, sans finances ; elle est plutôt suspecte aux groupes d’Action catholique, dans les collèges et les grandes écoles, quand ce n’est pas aux autorités collégiales elles-mêmes. Il est même question de lui enlever son titre d’association « catholique » qu’on finira, du reste, par lui ravir. Cependant, dans une lettre de Mgr Perrier, vicaire général de Montréal, lettre du 21 septembre 1942, je lis ces lignes : « Elle [l’ACJC] doit à tout prix conserver son nom d’Association catholique. On ne sépare pas chez nous religion et patriotisme. On veut que le catholicisme impose ses règles à l’économique, au social, au national. » L’ACJC ne peut que végéter ; elle végétera longtemps, pour finalement mourir de langueur, vers 1960,