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septième volume 1940-1950

terre anonyme. Être social de par nature, il vit dans un milieu social et national, où, quoi qu’il fasse, son être, sa perfection sont fortement engagés. C’est un axiome de philosophie rudimentaire : la perfection de l’homme se conquiert socialement. Nulle nécessité d’être si grand clerc pour discerner, par exemple, jusqu’à quel point notre manque d’assises économiques, certain état social et politique désagrègent, à l’heure actuelle, chez nous, non seulement notre personnalité nationale de Canadiens français, mais tout d’abord notre personnalité humaine… Plaignons ces pauvres esprits qui se montrent incapables de faire la synthèse du naturel et du surnaturel, du temporel et de l’éternel. Parce qu’ils prétendent se cantonner dans la transcendance de la foi, ils se croient de grands théologiens ; ils ne savent même pas leur petit catéchisme. Parce qu’ils s’évadent de l’humain, ils se croient des catholiques plus purs ; ils ne sont que des catholiques infirmes. Nier la patrie, le milieu national, ou simplement se comporter comme s’ils étaient choses indifférentes, négligeables, ce n’est pas seulement acte d’ignorance, vaine sottise ; c’est ravir à l’action de la grâce tout un ordre de valeurs morales, rejeter en dehors de la loi de l’Incarnation, toute une tranche de l’humanité ; c’est prétendre sauver l’homme, sans, en même temps, sauver son milieu, abandonner ce milieu comme une proie fatalement vouée à l’infection païenne. Peut-on, de façon plus déplorable, manquer de foi en sa foi, assumer, à l’égard de sa vocation de chrétien, pire rôle de fuyard ?…

Que pouvais-je ajouter d’autre que ces lignes ? Ceci peut-être :

Au surplus, il n’y a pas tout à fait de notre faute si le patriotisme serein, bourgeois, ne saurait être pour nous un état de tout repos. Infime minorité sur ce continent, aux prises avec un destin exceptionnel, notre peuple n’aura jamais chance de survie, à ce qu’il semble bien, qu’au prix d’un patriotisme sans cesse en éveil, souvent militant : ce qui est la définition même du nationalisme. Qu’y pouvons-nous ? Retenons l’essentiel : nous ne sommes ni des Russes, ni des Allemands, ni des Anglais, ni des Américains. Par origine, par histoire, par culture, par droits politiques, nous sommes des Canadiens français. Admettre ces réalités indiscutables n’implique nullement, de notre part, le noir dessein de nous diminuer, de nous isoler, comme s’évertuent à le crier tant d’inconscients. En cet univers si lié, de facture si communautaire, quel peuple, au reste, a bien les moyens de s’isoler ? Nous ne dynamitons les ponts avec personne, ni