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maine. Nous y avons trouvé des institutions, un état économique, social, politique, une culture, une civilisation, un climat moral. Entre ce milieu et nous, un peu d’observation et de réflexion nous aurait même révélé de puissantes affinités électives… Bref, nous avons des racines terrestres ; nous respirons une atmosphère terrestre. Le milieu national est un lieu de vie humaine, qui importe aux dimensions de notre personnalité.

Or, en présence de ces attaches terrestres de l’homme, quelle attitude prend le catholicisme ? Il accepte les nations, les petites comme les grandes. Il les accepte, non seulement comme des fatalités, ou, si l’on préfère, comme des résultats géographiques et historiques ; il les accepte comme des entités juridiques et morales dont le droit à l’existence ne se discute point. Ce droit, le philosophe le fonde sur un droit éminent de la personnalité humaine : droit à son milieu culturel, éducateur. Le catholicisme, lui, transpose ce droit sur un plan supérieur : le droit du baptisé, du prédestiné à l’éternel, encore et toujours homme, de rester en possession de ses supports humains : milieu, climat ou atmosphère qui, par l’agrandissement de l’homme, facilitent l’agrandissement du chrétien…

Entre [le] naturel et le surnaturel, quels rapports impérieux l’on commence déjà d’entrevoir ! Dans son Incarnation, le Verbe a assumé tout l’humain. Nul n’a le droit de limiter son humanisation, pas même sous prétexte de ménager la transcendance de Dieu. Rappelons-nous le mot si absolu de saint Jean : Le Verbe s’est fait chair. De même, le catholique, fils de Dieu par la grâce, n’a-t-il le droit de rejeter aucun de ses éléments constitutifs, de ravir à l’influence de la vie divine aucune part de sa structure d’homme. Le catholicisme ne dissocie point l’humain et le divin, le naturel et le surnaturel ; il les dispose dans une hiérarchie. Or hiérarchiser, c’est placer les êtres selon une ligne, selon l’échelle de leurs valeurs, ligne ascendante, sans doute, mais non ligne coupée, disjointe, mais ligne continue où tout s’attache, se soutient, dans la loi d’une harmonieuse unité. En regard de la sanctification de l’homme, ou, si l’on veut, de son élévation au plan surnaturel, le devoir du catholique ne saurait donc consister à s’évader de l’homme, mais, à l’exemple de l’Incarnation, de permettre à la grâce d’assumer l’homme. Et, par homme, il faut entendre, cela va de soi, non seulement l’individu, mais bien tout ce qui conditionne son être, sa personnalité, son progrès. Et l’on aperçoit jusqu’où cela s’étend. Nous y avons assez appuyé : l’homme ne vit pas à l’état d’individu, sur une