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septième volume 1940-1950

draient en divorce total avec tout ce qui est national. « D’aucuns s’étonnent, disais-je, qu’en dépit de notre catholicisme, religion de vie, religion de force, nous soyons un peuple si veule, si dénué de fierté. Quelle méthode plus apte que celle de nos « négativistes », à développer dans l’âme collective, un sentiment national timide, anémique, à nous prostrer dans un dégradant « complexe d’infériorité » ! Être de sa petite patrie, de sa province, de sa nationalité, de sa culture, partout dans le monde, sentiment tenu pour légitime, naturel, auquel on se livre sans scrupule, d’une foi confiante, sentiment qui dilate. Chez nous, sentiment dénoncé, anathématisé par une nuée de faux théologiens et de folliculaires ; sentiment tenu pour une étroitesse d’esprit, pour un élan mesquin, suspect, auquel l’on peut à la rigueur s’abandonner, mais avec d’infinies précautions, comme à une occasion de péché… Jamais à peuple moins national l’on n’aura tant appris à se méfier du national. »

Que le catholicisme fût « principe d’avant-garde », il m’était facile de le démontrer à cette jeunesse :

Assurément le catholicisme est le suprême régulateur. Il règle, dans l’ordre parfait, la justice, le droit entre les hommes et les peuples. Il défend le culte idolâtrique de la nation, le culte de l’État qui refuse les limites de la morale. Il règle, selon le même ordre, jusqu’à la vie intérieure de l’homme, ses idées et ses sentiments les plus intimes. Dans l’ordre national, il pose les bornes du nationalisme, comme il les pose à toute forme de l’activité humaine. Il indique où ne pas aller ; en revanche il dit aussi jusqu’où aller. Et voilà ce qu’on oublie trop.

L’on oublie trop, en effet, jusqu’où s’incarne dans l’histoire et dans chaque vie d’homme, le catholicisme. Qui pourra dire jusqu’à quelle profondeur il atteint l’esprit et quelquefois le cœur des grands acteurs du drame humain et quelle part d’efficience il faut lui attribuer dans les suprêmes décisions ? Je reprends donc :

Catholiques, nous ne sommes point des anges ; faire l’ange, chacun le sait, ne va pas pour l’homme sans un certain risque. Notre salut, nous avons à le faire, non dans un monde imaginaire, abstrait, mais dans un milieu strictement particularisé, délimité par des lignes géographiques et voire par certains graphiques ou signes stellaires. Sur cette portion du globe nous sommes nés, nous avons grandi ; à notre naissance, il n’était point une terra incognita, un espace vierge, vide, dénué de toute empreinte hu-