Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

IX

ACTIVITÉ SACERDOTALE

Est-ce Claudel ? Est-ce Henri Massis ? Est-ce Barrès ? — C’est plutôt Barrès, je crois, — qui nous a décrit quelque part les tiraillements intérieurs et même l’angoisse d’un prêtre contraint à choisir ou à ne pas choisir entre son métier d’intellectuel et son activité sacerdotale. Je le confesse sans pudeur : j’ai connu quelque chose de cette angoisse. J’ai toujours gardé une profonde nostalgie de mes années de Valleyfield où, à mon enseignement, je pouvais joindre la direction spirituelle de beaucoup de jeunes gens. Pour une joie pleine et même surabondante, quoi de comparable au spectacle d’une jeune âme qu’on voit s’épanouir, de jour en jour, dans la foi et l’amour du Christ ! J’ai connu là ce que l’on peut appeler la culture des âmes : occupation normale du prêtre. Entré à Montréal en 1915 et pour y accomplir les fonctions que l’on sait, je me suis senti fortement désorienté ; il me semblait qu’on m’arrachait un peu à mes racines. Ma seule consolation fut de m’acquitter en définitive d’un devoir d’état que je n’avais pas choisi : celui-là que m’avaient imposé mes chefs ecclésiastiques. Autant que je l’ai pu, dans mes nouvelles fonctions, je me suis efforcé de ne jamais oublier — hommage qu’on m’a quelquefois rendu — ma qualité de prêtre. Je ne l’ai pas oubliée, même en mes travaux d’historien, bien persuadé que cette qualité n’entrave en rien ni l’objectivité, ni l’impartialité historiques, quoi qu’en ait pensé récemment un religieux qui voudrait bannir les prêtres de ce métier où ils ne pourraient qu’infléchir dangereusement l’histoire, comme si le laïc, l’agnostique, l’athée n’en pourraient faire autant !