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mes mémoires

payai fidèlement à la petite semaine, comme un frigidaire ou une machine à laver.
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Je ne pousse pas plus loin le récit de ces petites misères dont je ne garde nulle amertume et que je ne veux pas, du reste, exagérer. Mon enseignement a pu me valoir quelques oppositions et même quelques inimitiés. Je n’ai jamais pu conquérir, par exemple, la faveur des gouvernants que je confesse d’ailleurs n’avoir que sobrement recherchée. En revanche, que de ferventes amitiés m’ont apporté leur appui, d’un peu partout, à travers le Canada français. Je ne puis pas ne pas tenir compte d’une manifestation telle que celle de ce soir. Je ne puis oublier, non plus, ce geste d’un groupe d’amis qui, tout autant pour assurer la sérénité de mon travail que pour parer à l’embarras où je me trouvais de loger mes paperasses et ma bibliothèque passée à quelque six à sept mille volumes, achetaient pour moi, aux jours de 1939, dans l’aristocratique Outremont, le logis 261 de la rue Bloomfield, sans autre obligation, pour votre humble serviteur, que de prendre la clé et d’y entrer.

Mes compensations je les ai trouvées aussi dans la joie de mon travail et de mon métier. On m’a demandé parfois si j’écrivais facilement l’histoire. Ma secrétaire ne se pose pas pareille question, elle qui n’a pas trop de sa patience pour se débrouiller à travers mes grimoires, mes ratures, mes mots et phrases numérotés, mes crochets, mes lignes en flèche, tombantes, montantes, mes renvois au verso, mes retours au recto, etc., et qui, au dernier moment, doit reprendre au dactylo des pages entières qui paraissaient pourtant bien définitives. Je crois d’ailleurs qu’aucun historien n’écrit facilement l’histoire. Le genre laisse part trop avare à la spontanéité de l’écrivain, à ce que d’autres appellent l’inspiration. La réalité historique est trop complexe, trop difficile à saisir pour que l’historien puisse avancer autrement qu’à tâtons, ou à pas menus, constamment tenu en laisse par une vérité capricieuse et fugace, autant que par la recherche d’une forme insatiable de nuances et de précision. Cependant je crois l’avoir déjà dit, il y a trois moments dans le travail historique, et si le deuxième, l’entre-deux, le moment de la critique et de l’utilisation du document, s’avère extrêmement pénible, en revanche, le premier et troisième s’accompagnent souvent de grandes joies. Moment de la recherche, des fouilles où, dans l’immense et muette né-