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septième volume 1940-1950

de façon plus expresse, dès l’Avertissement placé en tête de mon premier volume :

Ce livre n’est pas l’ouvrage que j’avais rêvé d’écrire. Jeune, manquant de métier et d’expérience, j’avais conçu le projet d’une Histoire du Canada en dix à quinze volumes. Et je me jetai à corps perdu dans la vaste exploration. Je m’aperçus tôt, en cours de route, que l’entreprise dépassait les forces d’un seul homme, surtout dans les conditions défavorables où il me fallait accomplir mon travail.

Je me rabattis sur un projet d’histoire synthétique en un ou deux volumes, à la manière des Grandes Études historiques d’Arthème Fayard. J’y dessinerais les lignes maîtresses, la toile de fond de l’histoire canadienne. On y verrait comment, à travers les documents, elle m’était apparue, selon quelle logique interne elle avait pris telle ou telle allure, subi ses principales courbes ou évolutions.

J’avais commencé ce travail lorsqu’on me proposa ce cours d’histoire à la radio en quatre-vingt-dix à cent leçons…

Ce livre est donc loin de l’œuvre rêvée. On y trouvera, sur papier bleu, les lignes blanches de l’édifice qu’il arrive à tant d’hommes de ne pas bâtir. Je me flatte toutefois que ces lignes blanches indiqueront les chemins souvent rudes et fléchis par où a cheminé, pendant trois siècles, une ancienne colonie de la France. Peut-être aussi y découvrira-t-on l’originalité attachante d’un petit peuple qui, par son aventure historique, et par l’âme et le visage que lui ont faits sa culture et sa foi, ressemble à peu d’autres dans les Amériques.

J’ai quand même conscience et satisfaction d’avoir achevé quelque chose. La part de l’inachevé dans ma vie m’a toujours impressionné. Il y eut de l’inachevé dans mes études de collégien. Je portais, ce me semble, à vingt ans, un bagage intellectuel fort léger. Il y eut de l’inachevé dans ma formation sacerdotale, quelque huit mois à peine de Grand Séminaire, à peu près sans maître en théologie à Valleyfield. Encore de l’inachevé dans mes études en Europe alors que la maladie m’empêcha de continuer mes études à Fribourg. Toujours de l’inachevé à Valleyfield où de sourdes hostilités brisèrent mon rêve de prêtre-éducateur. De l’inachevé aussi à Montréal. La publication de chacun de mes ouvrages d’histoire me laissait invariablement le remords d’avoir publié trop