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septième volume 1940-1950

De mes Jeunes Laurentiens, j’aurais voulu faire des rassembleurs de la jeunesse, de toutes les jeunesses autour de l’idéal national. Combien de fois leur ai-je recommandé de s’occuper très particulièrement de la jeunesse rurale et de la jeunesse ouvrière ! La jeunesse des campagnes et des villages m’apparaissait alors si négligée, si oubliée. Le cours primaire fini, plus d’horizons pour elle ; pas la moindre orientation, pas la moindre école d’agriculture, ou commerciale ou technique à sa portée, où poursuivre ses études. Rien d’autre que le croupissement dans le rôle de « journalier » en son patelin, ou le départ vers les grandes villes, pieuvres qui, de leurs membranes, ont happé tant de générations de pauvres jeunes gens sans métier, ramassis de pelleteurs ou de balayeurs de rues, de vidangeurs ou de débardeurs. Ce qui nous valait, selon des statistiques de 1940, de compter, dans la province, plus de « gens sans métier, plus de manœuvres impréparés techniquement que les plus récents immigrants, les Italiens, les Norvégiens, les Yougoslaves ». Faute d’écoles moyennes d’agriculture, les fils d’habitants prolongeaient indéfiniment, sur les terres paternelles, la séculaire et ruineuse routine. Et c’est peut-être, en ce manque de vision, que notre Conseil de l’Instruction publique aura le plus gravement péché et préparé sa suppression. Assurément je ne demandais pas à mes Laurentiens de nous donner ces écoles indispensables, mais « il vous appartient, leur disais-je, d’amener la jeunesse, la population à les désirer, à les obtenir ». Dès le début de leur association, je les avais encore priés de se tourner vers la jeunesse ouvrière : « Avec le temps, leur disais-je, ma conviction se fortifie que vous avez là l’un des plus beaux champs d’action. » J’aurais voulu que les Laurentiens orientent leurs jeunes camarades du milieu ouvrier vers le syndicalisme chrétien et national. À tout prix fallait-il les empêcher de commettre l’erreur de leurs pères, les persuader qu’ils ne pouvaient « abandonner la direction de leur activité économique et syndicale à des organisations ouvrières dont les doctrines, les inspirations, les buts seraient parfois en opposition formelle avec les idéaux de notre foi religieuse et de notre collectivité nationale ». Nulle classe sociale ne peut se permettre de constituer un bloc étranger dans la vie de la nation. Il va de soi que, pour aider mes Jeunes Laurentiens, les enflammer dans leur apostolat, je n’hésitais point à leur présenter les ressources de la sociologie catholique, celle qui, de nos jours mêmes,