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et tout au bas de cette 9e page, ces mots bien détachés de Charles Péguy : « Nous ne voulons pas que nos fils après nous restent commandés éternellement par cette génération de capituleurs. »

C’est là ma première rencontre avec le jeune Frégault. On comprendra que je me sois vivement intéressé à lui. L’année suivante, il entre à l’Université de Montréal pour une préparation de la licence lettres-histoire. Il suit mes cours d’histoire du Canada. Sa réputation s’établit vite d’étudiant intelligent. Ses remarquables succès en littérature induisent Mgr Chartier à le pousser de ce côté-là. Il souhaiterait l’envoyer à l’École normale supérieure de Paris. Pour ma part, je m’efforce de le pousser vers l’histoire. Mais vint la guerre. Impossible de prendre le chemin de Paris. Guy Frégault, d’abord séduit par le projet de Mgr Chartier, m’écrit en juin 1940 : « Quant à votre projet de Loyola, il m’enthousiasme. J’ai toujours eu un goût très vif de l’histoire : je crois que c’est là que je pourrais servir le moins inutilement. Mais il serait véritablement désastreux pour moi, que ce projet s’écroulât par suite de retards. » J’avais dit, en effet, au jeune étudiant : « Si vous optez pour l’Histoire et que je vous obtienne une bourse, vous pourriez aller à Harvard. Mais là, je le crains, vous seriez perdu dans la cohue des étudiants. Or, à mon sens, le métier d’historien est si exigeant, si subtil, qu’il faut l’apprendre sous la direction immédiate d’un maître. Je vous enverrais plutôt au Loyola Institute de Chicago. Là, je vous recommanderais à un véritable maître : le Père Jean Delanglez, s.j. Il vous serait d’un grand profit. » Mais il fallait, avant tout, obtenir une bourse d’étude à mon jeune candidat. Heureusement, mon bon ami et voisin d’en face sur la rue Bloomfield, M. Henri Groulx occupe alors, dans le ministère Godbout, le poste de secrétaire de la province, de qui relève l’attribution de ces bourses. M. Henri Groulx, qui n’est que mon cousin très lointain, tous les Groulx ne descendant que du seul petit émigré de 1665, m’a toujours manifesté la plus généreuse amitié. Tout le temps de mon enseignement à l’Université, il a voulu qu’on m’y conduisît