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septième volume 1940-1950

Rops des Éléments de notre destin, la lettre qu’il m’écrit en juillet 1937 déborde d’élans généreux, quelque peu naïfs ; mais en même temps j’y retrouve des vues fort précises sur la « Révolution laurentienne » dont s’entretiennent ces jeunes gens à peine sortis de l’adolescence. Je suis frappé de la maturité précoce de leur esprit. Guy Frégault, qui tient la plume, m’a déjà rendu visite. Pour ce coup, en son épître, il veut m’exposer plus clairement ses idées et celles de ses camarades, idées qu’il n’a qu’ébauchées en notre première rencontre. De leur « Révolution personnaliste », ces jeunes collégiens ne parlent que sur le mode grave. Une maladresse insigne serait de ne les point prendre au sérieux. « C’est donc d’un respect absolu de l’homme — de ses réalités les plus humbles comme les plus sublimes — que part la Révolution laurentienne », m’écrit le jeune Frégault. Et encore : « Nous nous battrons jusqu’au bout de nos énergies pour la libération intégrale de l’homme laurentien. Nous nous battrons sur tous les fronts… En un mot nous voulons être d’un peuple libre globalement dans un pays politiquement libre ; mais cela ne nous suffit pas… Nous voulons encore (et surtout), à l’intérieur de ce pays et de cette collectivité libérés en bloc, être personnellement libres. Vivre libres dans un pays libre… On craint que [notre révolution] soit sanglante. On ne l’imagine que mêlée à des scènes d’anthropophagie. Nous, nous croyons qu’une révolution n’est sanglante que si elle est mal préparée. Que si elle éclate dans les faits sans procéder d’une intention et d’une préparation spirituelles. Alors quoi, la chose est simple : préparons-la… Nous croyons que si la préparation spirituelle des Laurentiens est suffisante, leurs institutions révolutionnaires s’instaureront pour ainsi dire d’elles-mêmes. » Guy Frégault ajoutait en terminant sa lettre de neuf longues pages : « Ce ne sont là que les quelques grands linéaments de la Révolution laurentienne. Ce sont les idées dont mes amis et moi nous vivons. Parce que j’ai une absolue confiance en vous, je vous les soumets. Trouverez-vous qu’elles manquent de précision ? » Et mon jeune correspondant avait ajouté en dernière page, sur deux lignes, ces acclamations qui disaient son enthousiasme juvénile :

Vive la vie !
Vive la Révolution de l’Ordre laurentien !