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mes mémoires 1940-1950

que toujours grandissante, en face du vaste et tout-puissant empire. Presque une gageure contre le destin… » Existence tragique, comme nul peuple des trois Amériques n’en a vécue et que je résume en cette image : « Barque à la dérive qui ne parvient à tenir le fond qu’en usant de toutes ses ancres. » Et c’est alors que je confie à l’auditoire mon grand projet : « Ne vous étonnez pas que, pour fouiller davantage cette histoire et la sortir de ses cendres ou de sa pénombre, j’aie projeté depuis longtemps, mes amis le savent, la fondation d’un Institut d’histoire de l’Amérique française. J’ai souhaité former ici, dans Montréal, une équipe de chercheurs et d’écrivains d’histoire qui s’emploieraient tout spécialement à l’étude du passé français de l’Amérique. Seuls, mes amis le savent aussi, le manque de ressources, les conditions misérables où mon collègue, M. Frégault et moi-même continuons à travailler, m’ont empêché de fonder cet Institut. Mais s’il le faut, je le fonderai dans la pauvreté, puisqu’il n’y a que ces fondations, chez nous, qui réussissent. Je le fonderai dans notre Université, si elle le veut, pour que nous soyons plusieurs à travailler méthodiquement ; pour que cette histoire, avec sa vérité et son prestige, pénètre dans toutes nos écoles, dans tous nos foyers ; pour que cesse l’ignorance inconcevable de ceux-là qui en sont les héritiers. »

Fondation de l’Institut d’histoire de l’Amérique française

Je tenais ces propos le 24 juin 1946. Les choses ne vont pas traîner. Les vacances passées, dès le 26 octobre, dans une entrevue donnée au Devoir, je puis annoncer la « bonne nouvelle » : l’œuvre est en marche. Elle a trouvé son nom : Institut d’histoire de l’Amérique française. On ne veut « ni faire double emploi avec aucune Société historique au Canada, ni marcher sur les brisées d’aucune ». Le Canada français obtiendra, sans doute, dans les travaux de l’Institut, la plus large part ; il le mérite et il s’impose par son importance. Mais on travaillera aussi « avec autant d’ardeur, à la recherche et à la révélation de tout le fait français dans le Nouveau-Monde ». C’est plus qu’un squelette, c’est presque une institution qui, déjà, en cette entrevue, nous apparaît, avec ses organes vitaux : équipe de chercheurs, en voie de formation ; sections de l’Institut, dans chacune des régions de