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septième volume 1940-1950

un pays, en un peuple, en une culture particularistes. Et c’est là où elle est que ses fils ont mission de la servir. Car il va de soi, disais-je encore à ces collégiens fourvoyés, que si vous ne sauvez l’Église en votre pays, vous ne la sauverez ni aux Indes, ni en Afrique. » Hélas, ces jeunes déracinés, de par la logique même de leur fausse éducation, ne tarderont pas à mépriser leur pays, leur histoire, leur culture, leur catholicisme étriqué. Ne voyant, dans le Québec, aucune grande tâche à quoi vouer leur vie, ils s’estimeront malheureux d’être nés en une si pitoyable patrie. Quelques-uns, au sortir du collège ou de l’université, dès la première approche de la vie, de leur milieu, s’y trouveront si mal adaptés qu’ils s’en prendront agressivement à leurs maîtres et iront grossir la petite clique des anticléricaux et des agnostiques. Trop d’évêques malheureusement laisseront libre champ à leurs aumôniers d’Action catholique. Seul, je crois bien, l’intelligent archevêque de Rimouski, Mgr Georges Courchesne, s’insurgera contre cette parodie de la formation religieuse. Il arrêtera net le mouvement déjà en branle en son diocèse, demandera à ses prêtres et à ses éducateurs de remettre, pendant deux ans, toute la question à l’étude, à la recherche d’une forme d’Action catholique vraiment adaptée à notre jeunesse et à notre milieu. C’est lui qui me dira un jour : « La vraie formule, pour former des hommes et des catholiques, c’était celle de notre ACJC : le catholicisme au sommet gouvernant et imprégnant tout ce qui est au-dessous de lui. » Dans mon ouvrage, Le Canada français missionnaire, maintes fois j’ai souligné chez nos évêques en mission le souci de présenter à leur jeunesse une Action catholique exactement adaptée à leur milieu. « Nous avons voulu faire pratiquer, dans nos milieux de jeunesse, écrit, par exemple, un missionnaire des Philippines, une Action catholique philippine. » On fera de même en Afrique, au Pakistan. Je n’ai pas oublié cette question angoissée d’un jeune chrétien d’Afrique : « Est-ce que je puis être d’Action catholique et rester bon Africain ? » Plusieurs fois, en ferai-je l’aveu, j’ai dénoncé, en dépit de tous les risques, l’erreur inconsciente mais tragique que l’on commettait chez nous. Un jour que Son Éminence, le cardinal Paul-Émile Léger m’avait écrit des propos plutôt pessimistes sur l’avenir de notre peuple, j’osai lui écrire : « Éminence, l’Action catholique, chez nous, telle que présentée à notre jeunesse, n’a formé ni des hommes, ni des Canadiens français,