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septième volume 1940-1950

personnes ont suivi très attentivement, dimanche soir dernier, le deuxième cours d’Histoire du Canada… » Chaque fois, une voiture vient me prendre à Outremont et m’y ramène dans la soirée. Et pourquoi rappeler ces souvenirs ? Parce que ces cours sollicités, promenés en tant d’endroits, expliquent, ce me semble, la soif d’une époque, le besoin de se découvrir, de se mieux connaître dans son être ethnique, le besoin de se rapprocher de son passé. Disons en d’autres termes, qu’on veut ajouter aux raisons qui font se cramponner à sa culture, à ce qui confère à tout peuple, surtout aux petits, le droit de vivre.

Le manuel unique

Des mêmes sentiments, des mêmes motifs, procède ce refus d’un enseignement uniforme de l’histoire canadienne d’un bout à l’autre du pays, enseignement uniforme par le moyen d’un manuel unique, « from coast to coast ». Éternel débat, au Canada français, entre deux forces divergentes, l’une qui se laisse leurrer par le mirage d’un canadianisme où le faible que nous sommes diluerait son âme, ainsi que se décomposent, dans l’atmosphère des déserts ou même aux horizons des grandes prairies de l’Ouest, tant de fantômes mystifiants ; l’autre, passionnée d’intégrité, obsédée, effrayée par les toutes-puissantes séductions du milieu, jalouse de ses moindres ressources, de toutes les parcelles de son être, ni sclérosée, ni repliée sur elle-même, mais persuadée que le faible contre le fort doit jouer, lui aussi, la partie du fort.

L’Institut d’histoire de l’Amérique française aborde la question à sa réunion générale de 1950. En mon allocution au banquet du soir, je résume mon opinion qui a été celle de l’Institut. Pourquoi ce souhait d’un enseignement uniforme de l’histoire canadienne ? On voudrait cimenter davantage l’unité nationale. Or l’Histoire ne doit servir à nulle propagande, pas même à celle qu’on prétend lui assigner. Les saines méthodes historiques n’admettent ni d’autres normes ni d’autres fins que la recherche et, si possible, la possession de la vérité. Il résulte de là qu’on ne saurait traiter l’enseignement de l’histoire comme celui des mathématiques ou de la chimie. L’objet qui se présente au chercheur, n’est pas un objet nu ; c’est un objet d’un autre ordre, c’est un fait humain. Il ne saurait se présenter sous le même aspect, avec le